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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée



Par Ralph Doumit
2018 - 01


La bande dessinée et l'architecture ont de tout temps tissé une relation particulière. Déjà à la fin du XIXe siècle, lorsque paraissaient aux États-Unis, dans les numéros dominicaux des quotidiens américains (les fameuses Sunday pages) des planches de bande dessinées imprimées en grand format, elles ressemblaient, comme par mimétisme avec leurs cases en guise de fenêtres, aux premiers gratte-ciels qui poussaient alors outre-Atlantique. L'un des pionniers de ce neuvième art naissant, Winsor McCay, grand maître de la perspective, jouera souvent dans ses planches de cette analogie.

Depuis, nombreux sont les auteurs de bande dessinée qui utiliseront la ville, l’urbanisme et l'architecture comme prétexte à leurs récits. On pense bien sûr à la série Les Cités obscures de Benoît Peeters et François Schuiten, dont chaque épisode présente une ville imaginaire régie par des règles qui sont le cœur du récit. Mais Nicolas De Crecy et ses villes aux volumes organiques, Mattotti et ses bâtiments sculptés par la lumière ou le Paris de Jacques Tardi sont autant d’autres exemples qui rappellent que le bâti a inspiré plus d'un auteur.

C’est une nouvelle fois le cas avec le récit que propose aujourd’hui le jeune auteur Lucas Harari aux éditions Sarbacane. L’Aimant met en scène Pierre, étudiant en architecture qui a une fascination pour un bâtiment?: les thermes de Vals. Lorsqu'il décide de s’y rendre pour parfaire son étude, son esprit est déjà tourmenté par toutes les théories qu’il a échafaudées. Reflet direct de son obsession, son séjour sur place, dans les hauteurs enneigées, et ses visites des thermes, sont empreints d’une tension dans laquelle baigne l’intégralité du récit. L'agencement sobre mais labyrinthique des murs des thermes, le mélange entre une structure brute, solide, et l'élément liquide qui y coule donnent au bâtiment, sous le crayon de Harari, une aura quasi spirituelle.
De rencontres en rencontres, Pierre acquiert la certitude que les thermes de Vals cachent un secret. Tout l'art de l’auteur sera dès lors d'entretenir le mystère et de ne jamais le lâcher, tel une braise sur laquelle il souffle, jusqu’à la dernière page. Pas ici d’intrigue qui trouve un dénouement, pas de découverte qui éclaire les doutes. Le dessin-même de Harari ne verse jamais dans le trop-plein d’effet, toujours soucieux de simplification, de synthèse, dans une ligne claire accidentée qui, parfois, laisse deviner l’influence d’un auteur disparu trop jeune après une carrière fulgurante?: Yves Chaland.

Lucas Harari fait par ailleurs le choix d’éliminer le traditionnel blanc entre les cases de ses planches?: un choix qui prend tout son sens dans les scènes où l’intérieur des thermes est mis en avant, faisant s’entrecouper les lignes de perspectives sans coupure, comme si la planche dans son ensemble était une unique composition architecturale.

Un album-atmosphère qu’il est bon d’apprécier en seconde lecture. De multiples lectures appelées par le bel écrin que lui donnent les éditions Sarbacane, en dos toilé et grand format.
 
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Aimant de Lucas Harari, éditions Sarbacane, 2017, 152 p.

 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166