Nouvelles
L’écriture de la cruauté
Par Georgia MAKHLOUF
2007 - 07
Il a beaucoup écrit, dont  Asile de fous (prix Fémina 2005) dans lequel il épingle la famille dans toutes ses contradictions, ou  Univers, univers où il invente mille vies à une ménagère face à son gigot. Il publie aujourd’hui un gros livre de plus de mille pages, Microfictions, salué par la critique, dans lequel il exerce son œil acerbe pour épingler toutes les laideurs et les infamies de héros auxquels il ne donne pas, c’est le moins qu’on puisse dire, le beau rôle.
À l’opposé de la vogue actuelle de l’autofiction, Régis Jauffret est un fabricant d’histoires qui puise son inspiration dans l’observation acide du monde. Il critique vivement les écrivains qui pleurnichent, stigmatisant la tendance à « s’attendrir sur soi » à être « attentifs à ses moindres bobos ». « Écrire sa propre souffrance, c’est indécent », lâche t-il. À l’inverse, il revendique l’écriture comme un moyen de rendre hommage à tous ceux que la société ou l’entreprise broie, comme un moyen de porter la voix de ceux qui n’ont pas accès aux médias, et qui ne peuvent écrire des livres. Acte littéraire en même temps qu’acte politique, Microfictions dresse l’inventaire des méfaits de nos sociétés, même ceux que nous refusons de nommer. Avec une grande maîtrise de l’attaque et de la chute et un sens très précis du trait juste, Jauffret compose, par phrases courtes, une écriture au scalpel qui prend sans cesse le lecteur à rebrousse-poil . Exemple : « Je connais la misère et la respecte. Le spectacle de la pauvreté est sans charme. Il peut atteindre le moral des plus fragiles d’entre nous. Mais nous devons l’endurer avec dignité. C’est notre devoir de riches. »
Microfictions, c’est cinq cents histoires d’une page et demie, rangées par ordre alphabétique, depuis « Albert Londres » jusqu’à « Zoo », sauf pour la lettre Q qui manque à l’appel. Mais cette disparition n’est qu’illusoire puisque du cul, il y en a partout. Les thèmes abordés vont de l’humiliation au racisme ordinaire, en passant par le mensonge, la terreur, la sexualité torturée, les amours moribondes... Quant aux héros, ils sont, au choix, pervers, égocentriques, alcooliques, dépressifs, ou bestiaux. Au final, un catalogue non exhaustif des petites lâchetés et des grandes trahisons de notre monde qui n’est pas sans rappeler les  Crimes ordinaires  d’un Max Aub qui composa, à la fin des années cinquante, un recueil de textes courts placés sous le signe du meurtre et de l’humour noir.
Le héros de sa dernière nouvelle est un écrivain exhibitionniste et dépressif qui croit que ses Microfictions ont toutes les chances d’aller directement de l’imprimerie au pilon sans passer par les mains des lecteurs. Il s’est trompé puisque le livre est déjà un succès et a obtenu le prix France Culture/Télérama.
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