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Poésie
Deux poètes iraniens lourdement condamnés
Fâtemeh Ekhtesâri et Mehdi Moussavi, deux figures majeures et fondatrices du ghazal postmoderne, mouvement poétique underground de la littérature iranienne actuelle, ont récemment écopé d’une peine lourde et arbitraire. Quand la voix des poètes fait trembler les gardiens de la révolution.

Par Ritta Baddoura
2015 - 12
Ce n’est pas la première fois que Fâtemeh Ekhtesâri (poète, enseignante universitaire et sage-femme) et Mehdi Moussavi (poète, enseignant universitaire et médecin) ont affaire au courroux des gardiens de la révolution. Arrêtés une première fois en 2013 par les agents des services de renseignements des pasdaran, puis à plus d’une reprise en 2014, ils seront détenus pendant plus d’un mois à la section 2A de la prison d’Evine de Téhéran qui dépend des gardiens de la révolution. Accusés entres autres de « participation aux propagandes négatives contre la République islamique », Ekhtesâri écope d’une peine de onze ans et demi de prison et Moussavi d’une peine de neuf ans. Tous deux sont également condamnés à quatre-vingt-dix-neuf coups de fouet.

Fâtemeh Ekhtesâri et Mehdi Moussavi, dont tous les ouvrages ont été pourtant publiés avec les permis préalables délivrés par les autorités compétentes, sont accusés d’« insulter le sacré » de la société iranienne dans leurs poèmes. Actifs et très populaires sur les réseaux sociaux (notamment Facebook, Instagram, blogs de poésie, cyber-ateliers), leurs textes et leurs prises de position ont une résonance en Iran mais aussi auprès de la diaspora iranienne à l’étranger. Maints faits, certains avérés d’autres absurdes et surréalistes leur sont reprochés : ils ont écrit des poèmes évoquant les soulèvements postélectoraux de 2009 en Iran, ils ont serré la main d’une personne du sexe opposé (ni conjoint ni proche) lors d’un festival de poésie en Suède (ce qui a été assimilé à une « relation sexuelle illégitime ou adultère »), ils ont conversé avec des espions suédois et fait une propagande négative au sujet de l’Iran, ils sont en contact avec Shâhin Najafi, un chanteur dissident dont les textes se réclament du slam et du hip-hop, et qui s’est établi en Allemagne pour fuir une sentence prononcée à son égard par le régime. Devenue la parolière et la muse de chanteurs dans la même mouvance, ayant intitulé son dernier recueil Un propos féministe avant de faire cuire les pommes de terre (2009), Fâtemeh Ekhtesâri a été interdite d’édition et a vu le retrait de tous les exemplaires de son livre par les pasdaran. Sa charge de cours sur la métrique persane lui avait déjà été retirée sous le mandat d’Ahmadinejad. Elle continuera à écrire en prison en 2014 et se teindra les cheveux en vert – une vidéo d’elle avec les cheveux verts et récitant sa poésie est visible sur YouTube – en signe de solidarité avec les printemps arabes.
Bref, à la suite d’autres écrivains et artistes, censurés et sanctionnés (citons le cinéaste kurde Kayvan Karimi condamné, début octobre dernier, à 6 ans de prison et 223 coups de fouet), c’est au tour de Moussavi et d’Ekhtesâri de faire les frais d’une répression tout aussi acharnée sous le régime actuel que sous le précédent. La condamnation des deux poètes serait basée sur de faux aveux forcés, pratique courante en Iran lors d’affaires juridiques pour motifs politiques, rappelle le site International campaign for human rights in Iran. Une source proche des poètes aurait déclaré que lors de leurs longs interrogatoires, menés pendant plus d’un mois de confinement solitaire et dans une pression psychologique intense, Ekhtesâri et Moussavi ont été acculés à faire des aveux qui correspondaient aux allégations des policiers, aveux sur lesquels ils sont ensuite revenus durant leur procès. Ces mêmes aveux ont ensuite été diffusés par la télévision d’État, dans le but de diffamer les accusés.

Leurs sentences respectives n’ayant pas encore été exécutées, Ekhtesâri et Moussavi vont faire appel auprès de la cour. En Iran, l’Association des écrivains iraniens a jugé ces deux peines « on ne peut plus dures et injustes ». Plusieurs médias internationaux ont relayé ces informations et dénoncé le sort réservé aux deux poètes, mais rien de concret n’a encore pu être réalisé. Est-il déjà trop tard pour que la communauté internationale se mobilise et milite pour l’annulation ou la révision de ces verdicts ? Il reste que rares sont les pays où le poète porte ainsi l’étendard de la liberté et en paie le prix à corps et à sang. Aujourd’hui, en Iran, les poèmes semblent avoir pris plus que jamais le pouvoir et représentent une menace à l’ordre établi.


 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166