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Roman
La nouvelle philosophie de l’Amour
Clara Lozier trouve l’amour avec Malak et Karim après 25 ans de vie commune avec Jean-Claude.

Par Maya Khadra
2015 - 04
«Ce n'est pas en regardant la lumière qu'on devient lumineux, mais en plongeant dans son obscurité. Mais ce travail est souvent désagréable, donc impopulaire. », dixit Carl Gustav Jung, « apostat » de l’école psychanalytique de Freud. Clara Lozier, personnage central du roman de Frida Anbar, s’aventure dans les dédales obscurs de l’adultère, voire du libertinage avant de se sentir « totale et comblée plutôt que parfaite » ; finalité de toute quête du Soi, d’après Jung toujours. Femme mûre, quarantenaire, elle tombe amoureuse du beau-père de sa fille Valérie, éminent chef d’orchestre libanais. Une double vie se met en branle, le motif de l’être et du paraître transparaît de plus belle à travers l’attitude de ce personnage féminin en pleine métamorphose… et la quête de la totalité s’enclenche, paradoxalement, par le truchement d’une voie aux sinuosités scabreuses : l’adultère. À l’instar d’une Emma Bovary, Clara se livre à toutes les débauches avec les pendants, Libanais et Égyptien : Karim et Malak, des personnages flaubertiens : Léon et Rodolphe. Et à chaque fois, elle prend conscience de l’existence d’un cordon invisible et infrangible, tendu entre elle et des hommes qu’elle avoue aimer. L’amour pour cette femme est la clef de voûte de la découverte de son intimité dont l’expression a été longtemps enfouie sous les décombres d’une vie conjugale monotone. Clara s’émancipe de la férule des liens maritaux en aimant d’abord Karim à qui elle dira au niveau de l’excipit, en optant pour le genre épistolaire :  « Je serai toujours à toi. Pas exclusivement, mais à toi. » Ensuite, elle succombera à la tentation charnelle en se donnant à Malak, homme au caractère dom juanesque et meilleur ami de Karim. Malak représente le dernier arrêt sur la voie de la découverte de la voix intérieure de Clara. Elle avoue à ce dernier dans sa lettre finale :  « Il ne me restait qu’une pelure pour me révéler à moi-même et tu as été celui qui l’a arrachée. » L’amour, empruntant des chemins de traverse périlleux et « obscurs », confère à Clara le sentiment d’être comblée si bien qu’à la fin du roman, même attachée à ses trois hommes par un cordon invisible, elle se débarrasse du cordon ombilical qui la lie à l’état d’ignorance du Soi, au sens jungien du terme.

Ayant quitté inopinément le Liban meurtri par la guerre, ayant perdu ses parents, Clara se fait une nouvelle vie à Paris et se marie, très jeune, à Jean-Claude, le seul homme de sa vie jusqu’alors. Depuis, le deuil du pays et des parents est resté à ses premiers balbutiements. Cette relégation du passé aux oubliettes va de pair avec l’idée (freudienne) du refoulé. Et à la première manifestation de familiarité, l’apparition d’un Libanais (Karim) dans la vie de Clara, le refoulé effectue son éternel retour et se déguise en accoutrement passionnel. Clara est prise aux feux de deux identités : française (acquise) et libanaise (innée) à un point tel qu’elle dit à Malak qui lui propose de lui donner la nationalité égyptienne, après lui avoir fait l’amour :  « Et puis de Libanaise à Française ; il ne me manque plus qu’Égyptienne pour que je sois encore plus perdue que je le suis. » Le fourvoiement se prononce alors, avant tout, sur le plan identitaire. Clara réagit alors face à cette crise identitaire par l’amour qui la régénère. Le cordon invisible, serait alors une tribune où une nouvelle conception de l’Amour est préconisée. C’est l’amour, envers et contre tout ; l’amour qui affranchit même après avoir emprunté les voies les plus incongrues et anti-conformistes.


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Le cordon invisible de Frida Anbar, Bouquin plus, 2014, 194 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166