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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le livre de chevet de...
Carlos Chahine
2015-08-06
Mon livre de chevet actuel est le dernier volume des récits de Tchékhov. Bien que familier de son théâtre – j’ai joué dans Platonov et dans Les trois sœurs –, je n’avais encore jamais pris le temps de m’immerger dans ses nouvelles. À chaque lecture, ces récits, dont certains font seulement quelques pages, me procurent une émotion particulière, proche de celle que l’on éprouve en retrouvant une saveur ou une odeur oubliée et familière. C’est l’émotion de la littérature, bien-sûr, mais aussi celle du monde de l’enfance et de son paradis perdu. La jeune héroïne de Après le théâtre, qui trouve qu’un chagrin d’amour est beaucoup plus romanesque et passionnant qu’un amour partagé, me rappelle une de mes tantes qui passait ses après-midis à soupirer en lisant ces romans-photos en vogue dans les années 70. Le docteur de la nouvelle La salle N6 me fait penser à ce vieil oncle, docte et imbu de lui-même, qui aimait philosopher sur le sens du malheur, comme s’il en était, lui, à jamais protégé, etc. Les Russes de la fin du XIXe siècle et les Libanais de mon enfance sont-ils donc si proches ? Il existe probablement des similitudes dans la structure sociale de ces deux pays, notamment celle concernant la féodalité et le servage au XIXe siècle, (c’est l’une des raisons de mon intérêt pour sa dernière pièce de théâtre, La cerisaie), mais c’est surtout le sens de l’observation de Tchekhov, témoin impartial de son temps, qui rend les personnages qu’il dépeint si proches de nous.

Ce regard que Tchekhov posait sur ses contemporains, bien qu’empli d’humanité et de compassion, était aussi un regard étrangement distant, comme celui d’un homme exilé de l’intérieur. Était-ce cette distance qui lui a permis de saisir ces mouvements de l’âme que peu sont capables de voir et encore moins de décrire ? Ses contemporains ne s’y sont pas trompés en suivant avidement, dans les journaux de l’époque, ses récits, drôles et émouvants. Récits qui fâchèrent aussi nombre de ses amis qui s’y reconnurent, parfaitement dépeints. 

C’est une vaine coquetterie de tenter d’expliquer, comme je suis en train de le faire, les raisons de mon amour pour Tchékhov, mais il me plaît et me flatte de m’inventer ce point commun avec lui… L’exil. Je suis un de ces nombreux exilés du monde, qui ont la chance de revenir, de temps en temps, dans le pays de leur enfance. Avec, pour cette fois-ci, dans mes valises, un nouveau livre de chevet et le projet de monter une pièce merveilleuse, La cerisaie. Elle se jouera en octobre et en novembre à Beyrouth, dans une superbe traduction en arabe de Randa Asmar.
 
 
© D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166