Le livre de chevet de...
Jean-Noël Pancrazi
2012-12-06
Mon livre de chevet, c’est Alcools de Guillaume Apollinaire. Je ne l’ouvre pas souvent, je ne connais pas tous les poèmes par cÅ“ur, je ne saurai jamais ce que sont les « nixes nicettes aux cheveux verts et naines/ Qui n’ont jamais aimé ». Comme si j’avais peur, en allant vers un dictionnaire, de leur ôter leur mystère ; mais le recueil tout entier demeure pour moi un repère, un abri. Alcools, c’est toujours le souvenir, l’écho tout proche d’une douceur, d’une musique ; la musique des amours qui s’éteignent, de la vie qui s’écoule « comme un train qui roule », des adieux qui n’en finissent jamais, des rues anciennes qui disparaissent. Apollinaire, c’est la musique de la « Voie lactée » qui devient notre « sÅ“ur lumineuse », emporte, dans la nuit, les tourments, les chagrins du jour, le remords des instants qu’on n’a pas su vivre, les visages de ceux qu’on n’a pas su aimer. Elle entraîne la fatigue du roman, des histoires, trop difficiles à démêler, à ordonner, à écrire. Oui, c’est juste une musique, mais elle suffit pour amener la paix et dans le cÅ“ur la joie tranquille de « mai, le joli mai en barque sur le Rhin ». Le livre, avec le temps, est devenu un peu gris, la couverture orange a pris une couleur de soleil d’hiver qui tarde malgré tout à disparaître dans le ciel et qui est maintenant la couleur de ma vie.Â
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