Mon « livre de chevet » est un carnet à spirale, coloré. J’y dépose depuis des années des phrases rencontrées au fil des livres. De celles qui nomment et expliquent le monde, qui « donnent à l’expérience sa forme », comme dit Alberto Manguel, ce grand lecteur. Le carnet les met en écho, les fait échanger entre elles. Il est placé loin de mon lit. Toute cette émotion m’empêcherait de dormir. 

Un seul livre n’y est pas mentionné : Lettres à un jeune poète, de Rilke. Il aurait fallu le recopier entièrement. Ce petit livre m’a fait grandir. Je le relis régulièrement. Il me parle toujours. Je lui réponds. Il me donne bonne mine et me repose quand je suis fatiguée. Certains livres devraient être vendus en pharmacie ou dans les magasins de produits de beauté. Ce livre me dit des choses essentielles : « Croître comme l’arbre qui ne presse pas sa sève », ou bien : « Être patient en face de tout ce qui n’est pas résolu dans votre cœur. Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes (…) Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées (…). Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. » 

Dans les CV des gens, devraient figurer les livres qu’ils ont lus, plutôt que ceux qu’ils ont écrits. Ils disent bien mieux qui ils sont et ce qui les a façonnés. 

Pablo Neruda a raison, ne pas lire certains auteurs « est une maladie grave et invisible qui, avec le temps, peut avoir des conséquences terribles (…) (on) deviendrait lentement de plus en plus triste, notablement plus pâle, et sans doute, peu à peu, perdrait(-on) tous ses cheveux ».