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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le livre de chevet de...
Dany Laferrière
2011-05-05
J’ai toujours un livre de Borges sur ma table de chevet. Quand je l’ai assez lu, je le remplace par un autre du même Borges. Il m’arrive de lire d’autres auteurs (Baldwin, Boulgakov, Tanizaki, Bashô ou Diderot), mais je reviens toujours à Borges. Pourquoi? Il est à mon avis l’être le plus intelligent et le plus courtois que je connaisse. Je reste fasciné par cette curiosité si insatiable qu’elle frôle la candeur. À quelqu’un qui lui demande un jour?: «?Qui êtes-vous, Jorge Luis Borges???», il répond?: «?Que voulez-vous que je vous dise de moi?? Je ne sais rien de moi. Je ne connais même pas la date de ma mort.?» C’est rare que la mort soit un objet de curiosité. Pour Borges, ce n’est pas un simple bon mot, comme pour Villon qui n’hésite pas à nous prévenir («?Homme, ici point de moquerie?») de la gravité de la chose. Pourtant, je vois bien le vieux poète argentin attendant calmement la mort, avec sa canne entre les jambes. Ce n’est pas pour rien que cet homme occupe mon esprit depuis plus de trente ans. De plus, l’auteur de Fictions (mon livre favori de lui) se promène dans toutes les cultures comme s’il était dans sa chambre à Buenos Aires. Il est chez lui dans la littérature islandaise comme dans le théâtre de Shakespeare, il est chez lui dans les romans de Stevenson comme dans la poésie de Lugones, il semble encore plus chez lui dans l’Antiquité grecque que dans ce vingtième siècle où il s’est fourvoyé. Mais ce qui fait que je le lis tant, c’est que malgré cette érudition merveilleuse, il reste cet enfant qui a peur de la nuit. S’il semble distant face à sa cécité, c’est uniquement pour faire croire à sa mère qu’il ne souffre pas. Courage et élégance sont les mots qui définissent Borges.
 
 
© © Georges Seguin
 
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