Le livre de chevet de...
Tarek Mitri
2011-02-03
J’ai lu, pour la première fois, Le pont sur la Drina d’Ivo Andric sur la recommandation d’un ami historien intéressé par la réinvention de notre mémoire ottomane.
Dix ans plus tard, et à la veille d’un voyage en Bosnie, j’ai revisité ce foisonnant ouvrage du Prix Nobel de littérature, serbe par son choix et sa résidence malgré son origine croate, bosniaque par sa naissance et son sentiment d’appartenance le plus intime, et yougoslave à part entière, dans sa manière de réconcilier ses identités multiples. Chargé d’une mission de dialogue et de réconciliation, j’ai cherché dans le livre les clefs d’interprétation d’une situation conflictuelle, conscient néanmoins que les « haines ancestrales » ne produisent pas la guerre plus qu’elles en soient le produit. Je redécouvre un livre où le pont n’est pas une allégorie naïve, ni une métaphore d’une Yougoslavie en désintégration, mais un lieu de passage et de rencontre où se structurent les modes de vie et de communication ainsi que les tragédies, personnelles et collectives.
Lors d’une troisième lecture, après la sortie d’une nouvelle traduction française, Le pont sur la Drina se révèle à moi non comme un roman de quatre siècles d’histoire, mais comme un conte inspiré de la tradition orale de vies qui s’affrontent et s’usent, de peuples ou communautés qui ont su vivre ensemble dans l’amitié, mais aussi dans la méfiance, l’inquiétude et la peur.
Depuis sa construction en 1516 jusqu’à sa destruction en 1914, un pont unit les mondes qu’une rivière sépare. Il demeure un lieu vulnérable jusqu’à ce qu’il soit coupé en deux. Les parties brisées des arches interrompues demeurent tendues douloureusement l’une vers l’autre.
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