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Hommage
Orhan Pamuk, prix Nobel de littérature 2006
Dix jours avant d’être couronné par le prix Nobel de littérature 2006, Orhan Pamuk était à Perpignan pour y recevoir le prix Méditerranée étranger. L’occasion de nous parler de Neige, son dernier roman en français.

Par Jean-Michel COLLET
2006 - 11

Avec Neige, Orhan Pamuk dresse un portrait de la Turquie où les sensibilités politiques et religieuses servent de trame à sa prose poétique. Tout en racontant l’histoire d’un jeune poète exilé en Allemagne qui revient au pays enquêter sur des suicides de jeunes femmes, l’écrivain interroge la société turque contemporaine, les origines des fanatismes religieux, les problèmes identitaires, la culture, la démocratie, la violence du pouvoir. Et tout cela sous des tonnes de neige. Une neige tombant à gros flocons, lentement, inexorablement. C’est aussi un roman d’amour, la belle Ipek, libre et sensuelle, venant troubler une enquête absolument pas maîtrisée. Orhan Pamuk y déploie son écriture teintée de nostalgie, avec un rythme qui est celui de la chute des flocons. Cette histoire nous est contée en sourdine, comme si toute cette neige adoucissait les violences qu’elle contient.


Diriez-vous que ce roman est un livre politique ?

Oui, bien sûr ! Mais ne c’est pas un livre sur la politique. La politique, c’est juste la surface des choses. Plus profondément, il y a le quotidien, l’amour, la vie, les rapports humains...

Votre héros est poète. Cela veut-il dire que pour vous, le salut d’une société est dans la littérature, que seul le poète peut comprendre ce qui s’y passe ?


Non, ce n’est pas ce que je veux dire dans ce livre. D’ailleurs, le poète meurt au milieu de cette histoire. Ce qui m’intéressait, c’est qu’un poète ne peut se comporter en homme pragmatique, c’est un rêveur, un utopiste. En revanche, je voulais soumettre toutes ces questions difficiles sur la politique et la société turque au regard d’un poète. Je voulais aussi un personnage qui pourrait me ressembler. Et à la fin du roman, le poète devient cynique.

Pourquoi avez-vous situé cette histoire dans la ville de Kars en Anatolie ?

Avant de commencer à écrire ce livre, j’avais déjà l’histoire en tête, et comme ça se passait dans un endroit où il neige beaucoup, il fallait que ce soit en Anatolie. De plus, il y a trente-trois ans, jeune étudiant, j’ai visité mon pays et découvert Kars. C’était une ville très pauvre où la vie quotidienne était très différente de ce que je connaissais. Moi aussi j’avais dû prendre la carte de journaliste pour faire ce voyage. Il y a une part autobiographique dans le roman.

Tout au long de cette histoire, deux choses sont présentes, la neige et un arbre appelé « eléane », pourquoi ?

Cet arbre est très présent à Kars et mon souvenir m’a poussé à le faire apparaître régulièrement. Quant à la neige, c’est un morceau de paysage, une ambiance, une atmosphère et un concept métaphysique. La neige est aussi une belle métaphore, chaque flocon est différent, comme les hommes.

À travers ce roman, on vous sent plutôt partisan de l’entrée de la Turquie au sein de l’Europe. Est-ce exact ?

Oui, naturellement. Et je fais beaucoup pour que cela se réalise. Mais de chaque côté, les volontés ne sont plus aussi fortes qu’avant. Je voudrais tant que les deux parties s’aiment un peu plus. »

Un de vos personnages, un islamiste, exprime sa peur de voir la Turquie trop s’occidentaliser. Qu’en pensez-vous personnellement ?

Je suis turc, j’aime mon pays, sa langue, ses traditions, son histoire, et je souhaite que tous les Turcs conservent cette culture. Mais pour la démocratie, la loi, l’État de droit, les droits de l’homme, la Turquie doit être européenne. C’est inévitable. La démocratie est une forme d’occidentalisation. C’est un problème politique et non pas culturel. »




 
 
« L’occidentalisation de la Turquie, c’est la démocratie »
 
2020-04 / NUMÉRO 166