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La vieille ville d’Hébron, berceau du monothéisme, patrimoine mondial de l’humanité


Par Jad Tabet
2017 - 08
Située à 30 km environ au sud de Jérusalem, la vieille ville d’Hébron est l’une des plus anciennes cités du Proche-Orient encore habitée. Ville-carrefour située entre le désert du Sinaï, la Jordanie et la péninsule arabique, son histoire est marquée par des périodes de faste et de prospérité mais également par des périodes de troubles et de conflits dont les traces subsistent dans la ville d’aujourd’hui.

Selon la tradition biblique, c’est après avoir quitté la cité d’Ur en Mésopotamie que le Prophète Abraham aurait choisi Hébron pour s’installer avec sa famille. C’est là qu’il aurait accueilli trois mystérieux visiteurs et dialogué avec Dieu. La ville historique s’est développée autour de la mosquée d’Abraham/caveau des Patriarches, vaste enceinte sacrée construite à l’époque hérodienne. Selon les traditions du judaïsme et de l’islam, cette enceinte abriterait les sépultures du Prophète Abraham et d’une partie de sa descendance : sa femme Sara, leurs fils Isaac et Jacob et leurs épouses, Léa et Rebecca – ainsi que celle de Joseph, fils de Jacob.

La vieille ville d’Hébron abrite un patrimoine urbain et architectural exceptionnel qui se trouve aujourd’hui menacé de destruction suite à l’occupation militaire israélienne et au développement de la colonisation israélienne dans la vieille ville. De nombreux bâtiments historiques ont été démolis pour la création d’un accès sécurisé autour de l’enceinte sacrée et pour l’édification de colonies dans la partie sud de la ville ancienne. Les autorités d’occupation imposent aux habitants de la ville un régime de quasi apartheid, toute la partie sud de la ville étant interdite d’accès aux Palestiniens.

Cette situation dramatique a eu des effets dévastateurs sur le patrimoine architectural du centre historique. Au début des années 1990, plus d’un tiers des bâtiments anciens étaient désaffectés, abandonnés et tombaient en ruine et les infrastructures ne répondaient plus aux besoins des habitants. L’intégrité de l’enceinte sacrée en a été également affectée : depuis l’attentat perpétré par un colon en 1994 qui a couté la vie à 49 Palestiniens, le sanctuaire est divisé en deux parties séparées par une cloison blindée et réservées à chacune des deux communautés juive et musulmane. Le monument est isolé de la ville historique et ses accès sont étroitement contrôlés par des barrages de l’armée israélienne.

Depuis 1996, une ONG palestinienne, le Comité de réhabilitation d’Hébron, tente de s’opposer à ce processus délétère grâce à un projet ambitieux qui vise à réhabiliter les ahwachs, les monuments historiques et les souks principaux, à améliorer les conditions de vie des habitants et à réhabiliter les infrastructures afin de permettre à la vieille ville de revivre. Cette activité a été couronnée en 1998 par le prix Agha Khan et en 2013 par le Grand prix décerné en 2013 par le Programme des Nations-unies pour les établissements humains UN/HABITAT. 
Pourtant, malgré ces efforts entrepris dans le contexte particulièrement difficile de l’occupation, la protection de ce patrimoine reste incomplète en raison de l'ampleur des moyens qu'elle nécessite, de l'insuffisance des ressources économiques, scientifiques et techniques locales et de la complexité de la situation politique et militaire. 

La Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel adoptée en 1972 par la Conférence générale de l’UNESCO considère que « la dégradation ou la disparition d'un bien du patrimoine culturel et naturel constitue un appauvrissement néfaste du patrimoine de tous les peuples du monde » et que « certains biens du patrimoine culturel et naturel présentent un intérêt exceptionnel qui nécessite leur préservation en tant qu'élément du patrimoine mondial de l'humanité ». C’est dans ce cadre que le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO, réuni à Cracovie, a classé la vieille ville d’Hébron sur la Liste du patrimoine mondial. 

Trois critères ont permis ce classement :
- Tout d’abord, le fait que la vieille ville d’Hébron s’est constituée comme une ville multiculturelle qui abritait une mosaïque de communautés ethniques, claniques et religieuses et qui témoigne, par son architecture, ses monuments et les valeurs qui lui sont associées, de cet échange d’influences et du croisement sur un même lieu de cultures et de religions différentes.
- Par ailleurs, la vieille ville d’Hébron constitue un exemple exceptionnel d’un ensemble historique qui a conservé dans sa quasi-intégralité une morphologie et un tissu urbain datant de l’époque mamelouke. À la différence des maisons à cours qui caractérisent les formes d’habitat communément rencontrées dans les villes arabo-islamiques, le hosh hébronite constitue une typologie spécifique caractérisée par une structure ouverte, arborescente ou en grappes, regroupant des ensembles de pièces s’enchainant sur plusieurs étages le long de parcours ramifiés.
- Enfin, en tant que ville sainte pour les trois religions monothéistes, Hébron a été associée dès le départ à la tradition abrahamique et constitue jusqu’à ce jour un lieu sacré pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. 

Que signifie ce classement sur la Liste du patrimoine mondial ? C’est tout d’abord la reconnaissance par l’UNESCO et la communauté internationale de ce que la vieille ville d’Hébron fait partie du patrimoine de la Palestine. C’est ensuite la reconnaissance de ce que ce patrimoine est pluriel et qu’il comprend des valeurs spirituelles communes aux trois religions monothéistes, ce qui contredit la prétention de l’idéologie sioniste à monopoliser les valeurs du judaïsme. C’est enfin l’engagement de la communauté internationale à œuvrer en vue de la préservation de ce patrimoine en tant que patrimoine de l’humanité.


* Président de l’Ordre des Ingénieurs et Architectes, Membre du Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO
 
 
D.R.
« Le hosh hébronite constitue une typologie spécifique caractérisée par une structure ouverte, arborescente. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166