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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Biographie

Critique littéraire de renom, directrice du Monde des livres jusqu’en janvier 2005, biographe de Marguerite Yourcenar et de Carson McCullers, Josyane Savigneau publie Point de côté, où elle raconte son itinéraire et les rencontres qui ont marqué sa vie.

Par Rita BASSIL EL-RAMY
2008 - 11

«La calomnie s’est imposée, il faut tourner la page. La page, c’était moi. »  C’est sur ce constat que s’ouvre le premier chapitre de Point de côté de Josyane Savigneau. Grâce à la ténacité de son ami, Jean-Marc Roberts, directeur des éditions Stock, elle accepte de retracer son histoire, depuis son enfance oubliée dans un coin « du mauvais côté du pont ». Point de côté est la douleur qui nous prend en pleine course, mais qui, cependant, ne condamne pas notre élan. La guérison de la douleur se fait ici à travers un récit passionnant qui évoque son Lycée de province, New York, Paris, ses débuts au Monde, les fabuleuses rencontres avec Simone de Beauvoir, Margueritte Yourcenar, Philippe Sollers, Françoise Verny, Hector Bianciotti, Edwige Feuillère, Philip Roth, Doris Lessing, Juliette Greco, et bien d’autres encore…

« Avoir écrit deux biographies ne fait pas de moi un écrivain et ce récit, bien que plus personnel, n’y changera évidemment rien. » Comment avez-vous décidé de passer à l’écriture autobiographique ?

Ce fut très compliqué parce que ça allait contre tous mes principes d’écrire à la première personne. En fait, il m’est arrivé cet incident extrêmement banal qui arrive à des milliers de gens. Un jour, on vous convoque, et comme on ne peut pas vous dire que vous travaillez mal, on vous trouve une occasion pour vous dire que vous ne convenez plus et on vous met dans un placard. Cela a été vraiment dur pour moi. Jean-Marc Roberts, qui dirige Stock,  m’a toujours dit de ne pas avoir peur d’écrire à la première personne.  Il  me disait qu’il ne s’agit pas de faire des romans ou de devenir écrivain, ce qui pour moi n’est pas une question de qualité ou de non-qualité – il s’agit tout simplement d’un autre rapport au monde et au temps par rapport au journalisme –, mais de raconter plutôt tous ces gens que j’ai rencontrés, qui m’ont nourrie, qui m’ont formée. Un jour, je lui ai annoncé que j’allais essayer de le faire, et je l’ai fait !

Vous vous posez la question du genre au milieu du livre vous dites « ce n’est pas un roman ».

Oui.  Ce n’est pas un roman, mais ce ne sont pas non plus mes mémoires. Un jour, si j’écris mes mémoires, je parlerai beaucoup du Monde où j’ai passé toute ma carrière professionnelle. Point de côté est au fond un récit autobiographique qui brasse quelques morceaux de mon autobiographie.

Que pensez-vous de la littérature contemporaine française que vous avez pu observer de près tout au long de votre carrière au Monde ?

Contrairement à ce qu’on dit, je trouve qu’il y a encore de très bons auteurs. Yannick Haenel, par exemple, très remarqué avec Cercle l’an dernier, est un écrivain très important. Je pense également à Eric Reinhardt ou Régis Jauffret. Même si, personnellement, la littérature de Jauffret ne me touche pas tellement, je dois admettre que c’est un auteur intéressant.

Il y a certes de très bons écrivains, mais ne sentez-vous pas qu’il  y a un côté un peu « people » qui commence à se développer ? Je pense notamment au cas Christine Angot.

J’ai toujours défendu Christine Angot. J’ai parlé d’elle quand personne ne la connaissait. Je trouve qu’on a tout à fait le droit de ne pas aimer ce qu’elle fait, mais je trouve affreuse la manière dont on l’a injuriée tout au long de cette rentrée littéraire. Ce genre de personnes provoque une pulsion négative. Philippe Sollers a connu ce phénomène, il y a vingt ans, avec des phrases telles que : « Pour en finir avec Sollers ». Sollers a tenu le coup et même si l’on est en droit de ne pas aimer ce qu’il écrit, on ne peut que reconnaître qu’il a bâti une œuvre.

Dans ce livre, vous ne parlez pas uniquement de votre « destitution » du Monde, vous racontez également vos rencontres inoubliables, vous parlez des hommes et des femmes que vous avez aimés...

Seul le premier chapitre  parle de ce qui m’est arrivé au Monde, mais cette épreuve a été le choc qui a fait que j’ai osé écrire à la première personne. Au  fil du récit, je me suis aperçue que ce qui me restait de ce métier, c’étaient des choses magnifiques. Jean-Marc Roberts m’a d’ailleurs fait remarquer, quand j’ai rendu mon manuscrit, que le chapitre qui s’intitule « Souvenirs enchantés » est le plus long de tout le livre. De fait, ce métier que j’aime passionnément m’a permis de rencontrer des gens extraordinaires,  et c’est surtout cela que je retiens.


Vous consacrez maintes pages à Simone de Beauvoir dont vous rappelez l’influence sur vous.

Si je suis là, aujourd’hui, devant vous, c’est certainement grâce à elle.  Si, dans mon petit Lycée de province, je n’avais pas lu Simone de Beauvoir, si je n’avais pas compris ce qu’elle disait, à savoir que, quel que soit son milieu, il fallait s’en arracher et inventer sa propre liberté, je n’aurais pas franchi toutes ces étapes.

Vous évoquez trois villes, Paris, New York et Beyrouth. Vous parlez beaucoup des deux premières alors que vous vous contentez, à la fin du livre, de  dire tout votre amour pour cette ville « en dépit des cicatrices de la guerre civile ».

J’aurais voulu parler davantage de Beyrouth, mais ça ne pouvait pas aller avec la matière du livre. Mais j’aimerais bien un jour rendre hommage à cette ville magnifique. Lucien George, le correspondant du Monde à Beyrouth, faisait une édition du Monde Proche-Orient, et avait sollicité la collaboration du Monde des livres pour le supplément spécial consacré au Salon du livre de Beyrouth. Du coup, il m’a invitée dans cette ville que j’ai toute de suite aimée. En général, j’aime les villes en désordre ; ici tout est stérilisé. Tout le monde s’arrête au  feu rouge, puis repart sans voir l’autre. Ce qui m’a frappée quand je suis arrivée à Beyrouth, c’est qu’en dépit des traces de la guerre visibles sur les murs, cette ville avait un charme incroyable et une force de vie qu’on sent tout de suite quand on s’y trouve. Au fond, j’aime les  ports, comme New York ; j’aime le Sud : dès que je quitte le Nord, je me sens bien !

 
 
© Francesca Mantovani / Opale
 
BIBLIOGRAPHIE
Point de côté de Josyane Savigneau, Stock, 254 p.
 
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