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Le jour où Macron s’invita chez François Ier


Par Fifi Abou Dib
2020 - 03


Grand reporter au Point et à Paris Match, Émilie Lanez, auteur, entre autres, de La Garçonnière de la République (2017), lève le voile, avec Noël à Chambord, sur un de ces domaines « royaux » où la République française flirte avec son passé monarchique. Lanez commence fort avec un tableau de chasse digne d’une peinture flamande, montrant le gibier pris au petit matin, éviscéré, rangé par ordre de taille, « la tête posée selon le même angle, une branche de sapin coincée dans la gueule », comme au garde-à-vous pour accueillir un invité prestigieux : le président de la République. La suite sera puisée à la même encre somptueuse. En ce mois de décembre 2017, Emmanuel Macron rêve de passer un week-end en famille au château de Chambord, joyau de la Renaissance, édifié par François Ier à partir de 1519. Le château légendaire, propriété de l’État, est entouré d’un domaine de chasse réservé aux invités de marque, mais livré à la fédération des chasseurs quatre jours par an. Non que Macron soit chasseur, mais la famille de son épouse, Brigitte Trogneux, en compte plusieurs, et des passionnés, dont la chasse est le sujet favori lors des réunions familiales. Le président, donc. Cette année-là, il a l’idée de célébrer ses 40 ans, le 21 décembre, tout en offrant un Noël particulier aux petits-enfants de Brigitte, au château de Chambord.

La nouvelle trouble la fédération des chasseurs autant qu’elle lui fait plaisir, tant elle constitue une preuve du soutien présidentiel à cette communauté qui compte près de 5 millions d’électeurs à travers la France. La chasse, sport français s’il en est, est depuis plusieurs années entravée par des politiques écologistes parfois désordonnées et qui semblent privilégier le gibier par rapport aux animaux domestiques, comme s’en plaignent au président les fermiers voisins dont les renards et autres attaquent les poules.

Mais si la chasse constitue le volet politique contemporain de cet ouvrage, sachant que le privilège qu’elle représente a été aboli avec la Révolution française, l’arrière-plan historique en est l’âme. 

Rythmé par des citations de la Vie de François Ier de Brantôme, ce week-end particulier est prétexte à une visite guidée du château d’un jeune roi, venu presque de nulle part puisque ni fils ni neveu de roi lui-même, fils de Louise de Savoie et propulsé à la tête du royaume du fait que Louis XII n’eut pas d’héritier. François Ier, monté sur le trône de France en janvier 1515, 20 ans, une stature de 2 mètres, enchaîne par la suite les victoires, dont celle de Marignan, avant de faire ériger ce château « inutile » à sa propre gloire, partout marqué de son monogramme et frappé de la Salamandre, animal mythique réputé renaître de ses cendres dont il a fait son emblème. Chambord est construit en croix, sans plan, sur le modèle d’une basilique. Le bâtiment, pour éblouissant de l’extérieur avec ses tours qui furent en leur temps recouvertes d’or, est « plus froid à l’intérieur qu’à l’extérieur », selon Stéphane Bern, et dépourvu de cuisine, puisque quand le roi s’y rendait, il était accompagné d’une caravane et que l’on cuisinait sous les tentes. 

Le récit se poursuit à la manière d’un diptyque où le jeune Macron apparaît comme un palimpseste du fougueux François. Brigitte a refusé que la famille soit logée au château, justement pour ne pas prêter le flanc à des comparaisons malveillantes. Ils se contenteront d’y souper, le lendemain de leur arrivée. C’est donc à la « maison des Réfractaires », un ancien pavillon en deux bâtiments transformés en gîtes touristiques, le Cerf et la Salamandre, que dormiront les Macron-Trogneux. Week-end d’une famille presque ordinaire, avec tout le souci que peut poser à la sécurité ce désir de banalité, des enfants mangeant des crêpes sur la place du village au milieu de la foule, un président faisant son jogging dans le parc du château…

Le récit nous emporte entre le temps actuel de ce séjour présidentiel, six mois après lequel les Gilets jaunes érigeront leurs premières barricades, et des tableaux historiques où transparaît l’hubris d’un jeune roi indomptable. Soutenu par une langue somptueuse, il égratigne sans la blesser l’image d’un « monarque républicain » forcément livré à la critique médiatique, mais qui jongle avec les sensibilités de ses administrés, avec les talents d’un chasseur qui n’a jamais chassé. 

 
 
 
Noël à Chambord d’Émilie Lanez, Grasset, 2019, 144 p.

 
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166