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Chroniques
De Nancy Ajram à Karl Marx


Par Jabbour DOUAIHY
2010 - 02
Nancy n’est pas Karl Marx. L’antinomie aurait été plus persifleuse encore si elle mettait en vis-à-vis, comme le veulent d’autres intellectuels déçus de ce qu’est devenu le monde arabe, les Prolégomènes ou la « moukaddamat » du fondateur de la sociologie arabe, Ibn Khaldoun, avec le postérieur, soit la « mou’akkharat », de la chanteuse Nancy Ajram. Saghieh, qui s’est laissé aller au choix d’un titre plutôt racoleur, récuse d’entrée de jeu cette contradiction entre le sérieux du patriarche barbu de la classe ouvrière et la légèreté supposée de la jeune star qui fait des ravages en vidéo-clips et autres publicités. L’éditorialiste averti d’al-Hayat ne veut pas qu’on lui impose un choix exclusif et totalitaire, préférant, à travers les articles qu’il réunit dans ce livre, s’adonner à « un vaste arc-en-ciel où la vie prend forme et acquiert un sens ». Et pourtant, Nancy Ajram n’est pas là seulement pour la trouvaille bruyante du titre, elle donne lieu au premier portrait de la série, une tentative juteuse et avertie pour déconstruire, voire « effeuiller » le mécanisme de séduction qui fait la fortune de la jeune star située, selon l’auteur, entre la beauté préraphaélite et la Lolita de Vladimir Nabokov. Suit une petite quarantaine d’autres textes, écrits à différents moments, probablement entre deux articles d’analyse politique « sérieuse », où Saghieh entend cerner certaines « mythologies » contemporaines dont nous sommes devenus si friands depuis Roland Barthes. Le défilé se poursuit logiquement avec d’autres vedettes de la chanson, Sabah, la fannana par excellence qui se cache derrière son rôle contrairement à Feyrouz la transparente, Abdul Halim Hafez et Amro Diab en deux figures juvéniles, deux générations et deux manières d’être… De la chanson à la poésie il n’y a parfois qu’un pas avec l’autre Égyptien Ahmad Fouad Najm qui a bercé nos rêves révolutionnaires des années soixante-dix avec son compère, encore plus marginal, feu le chanteur Cheikh Imam ou avec Mahmoud Darwich, l’emblème meurtri de la cause palestinienne. Saghieh ne se contente pas de thèmes « locaux » comme le bilan mitigé des télévisions satellitaires arabes (al-Jazira en tête) ou les pères et les fils dans la politique libanaise, il s’attaque aussi à des icônes bien plus cosmopolites comme la trop souvent revisitée Édith Piaf (chanson quand tu nous tiens !) avec « son masque ricaneur collé à la peau du visage et regardant le monde » ou l’incontournable Che Guevara oscillant entre l’image du saint martyr et celle du combattant imbu de convictions inébranlables. La poupée Barbie, le boxeur Mohamed Ali Clay, la Cosa Nostra, Hillary Clinton, le MacDonald, le football, la cigarette, David Irving et même Leo Strauss, tout passe sous une plume parfois sérieuse et souvent ironique. La boucle est bouclée avec Karl Marx dont la « mort » est régulièrement confirmée et le « retour » tout aussi périodiquement annoncé.

Certes, les textes sont inégaux, écrits parfois dans des démarches diverses, mais les abondantes références historiques, esthétiques et intellectuelles ainsi que l’angle d’attaque choisi rééditent le plaisir et l’intérêt que suscite toujours la signature de Saghieh dans ses moindres contributions sur les pages d’al-Hayat.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Nancy n’est pas Karl Marx (Nancy Ajram laysat Karl Marx) de Hazem Saghieh, Dar es-Saqi, 2010, 120 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166