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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Chroniques



Par Lucie Geffroy
2011 - 12
Alors que Le Caire vient de vivre sa «?seconde révolution?» entachée de violences et que se sont tenues le 28 novembre dernier les premières élections législatives depuis la démission de Hosni Moubarak, ce recueil d’articles de l’auteur de L’Immeuble Yacoubian arrive à point nommé pour qui s’intéresse à la réalité égyptienne. Si l’expression n’était pas si dévoyée, on dirait volontiers que Alaa el-Aswany confirme avec ce livre son statut d’«?écrivain engagé?». En tant que romancier, l’homme s’est toujours montré fin observateur de la société égyptienne. Membre du mouvement d’opposition Kefaya (ça suffit?!), auteur de nombreuses tribunes dans la presse égyptienne et internationale et ayant pris part aux manifestations de la place Tahrir en janvier et février 2011, il milite activement en faveur de la démocratie.

En 2010 et 2011, la maison d’édition Dar el-Shorouk a publié en langue arabe 183 de ses articles parus dans la presse égyptienne (essentiellement Shorouk et el-Masri el-Yom) au cours des trois dernières années qui ont précédé la révolution. Actes Sud a choisi de traduire les 50 plus représentatifs. Au fil de chacun d’entre eux, c’est une société au bord de l’implosion qui est donnée à voir, une population prise au piège d’une dictature qui l’opprime et de conditions économiques et sociales toujours plus intolérables. «?La réalité en Égypte est aussi claire que le soleil. Un régime dictatorial, oppressif et incapable a monopolisé le pouvoir pendant trente ans par la répression et la fraude et il a, dans tous les domaines, conduit le pays à la décadence, écrit Alaa el-Aswany, (…) Tout cela a rendu la vie impossible pour des millions d’Égyptiens.?» En racontant la vie de pauvres gens – où on retrouve toute l’humanité et le goût du détail d’el-Aswany romancier –, les discriminations à l’égard des femmes, les tortures subies par des militants ou intellectuels, la mainmise de l’armée, l’hypocrisie religieuse ou encore des faits divers révélateurs du malaise social, l’écrivain montre à quel point – évidemment cela semble facile à dire aujourd’hui – la révolution paraissait inéluctable. Clair, précis et ordonné dans ses argumentations, usant parfois d’un registre à mi-chemin entre La Fontaine et Voltaire, l’auteur se veut le plus convaincant possible. Nombre de ses chroniques n’ont-elles pas pour titres des questions faussement naïves auxquelles il prend un malin plaisir à répondre?? «?Pourquoi régressons-nous alors que le monde progresse???», «?Pourquoi les Égyptiens ne participent-ils pas aux élections???», «?Pourquoi les religieux extrémistes sont-ils si préoccupés par le corps des femmes???», etc.

Le combat d’el-Aswany vise principalement deux cibles?: le régime dictatorial qui tente de se perpétuer par la transmission héréditaire du président Moubarak à son fils Gamal, et les tenants d’une lecture rigoriste de l’islam aux «?idées wahhabites réactionnaires et arriérées?» venues d’Arabie saoudite. La seule issue possible pour el-Aswany?: instaurer au plus vite un régime démocratique. Un leitmotiv martelé dans presque chacune des 50 chroniques qui se terminent invariablement par la phrase «?La démocratie est la solution?», en réaction au slogan des Frères musulmans «?L’islam est la solution?». L’actualité récente, en Égypte comme dans le reste de la région, montre plus que jamais l’urgence de cette injonction. Dans sa dernière chronique, Alaa el-Aswany rend hommage Ali Farzat. Le 25 août 2011, le célèbre caricaturiste syrien fut passé à tabac par des membres des forces de sécurité qui lui brisèrent les doigts. Une manière de réaffirmer son soutien à toutes les plumes arabes qui luttent contre la répression par l’écriture. Une manière aussi de rappeler que le printemps des révolutions n’a pas encore éclos en Syrie. «?Le régime de Bachar est terminé et il n’en reste plus que le bâton de l’oppression qui se brisera bientôt?», espère el-Aswany.


 
 
D.R.
C’est une société au bord de l’implosion qui est donnée à voir.
 
BIBLIOGRAPHIE
Chroniques de la révolution égyptienne de Alaa el-Aswany, Actes Sud, 2011, 352 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166