FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait
L'Orient-Express, témoin critique d'une époque pas si révolue que ça


Par Anthony Karam
2017 - 12
C’est le nom d’un train qui se hâte lentement. Entre novembre 1995 et février 1998, les 27 numéros mensuels de L’Orient-Express, qui paraissent en marge de L’Orient-Le Jour, marquent les esprits et impriment leur touche sur le paysage libanais des années quatre-vingt-dix. En faisant appel à Samir Kassir pour concevoir et piloter le projet, Michel Eddé – aiguillonné par Ghassan Tuéni – fait un choix audacieux qui bouscule les codes de l’époque. Samir avait, entre autres, été un des plus jeunes collaborateurs du Monde diplomatique et de la Revue d’études palestiniennes, mais aussi du quotidien al-Hayat, et avait dirigé un temps les éditions Dar an-Nahar, écrivant avec autant de brio en français qu’en arabe. Avec lui débarquent dans la rédaction plusieurs générations de « journalistes ». La sienne d’abord, née autour de 1960 et ayant, pour l’essentiel, fréquenté les bancs du Lycée franco-libanais de Beyrouth, celle de ses aînés ensuite, pour la plupart militants dans les organisations contestataires des années soixante-dix, mais aussi une toute nouvelle génération de talents qui n’a pas connu la guerre, qui a parfois fait ses études à l’étranger et pour laquelle le Liban est un terrain à conquérir, encore vierge et prometteur.

Ce brassage déteint forcément sur le résultat, chaque numéro présentant en continu les styles et les thèmes les plus divers, dans une expérience nouvelle de journalisme qui rappelle volontairement le foisonnement de L’Autre journal de Michel Butel et d’Actuel de Jean-François Bizot. Et comme la liberté est toujours contagieuse, elle va aller s’amplifiant d’un numéro à l’autre. Ce sont les années Hariri père qui promeuvent le mythe de la reconstruction du Liban sous l’aile de l’occupation syrienne mais qui dans les faits, à l’ombre des mafias triomphantes, vident de tout son sens le projet affiché. Page après page, c’est une photographie de l’époque qui se devine, au final pas si éloignée de celle d’aujourd’hui, et avec un discernement rétrospectivement flagrant… Presque tous les sujets sont abordés sans tabous : du diktat des publicitaires au développement immobilier, de l’endettement déjà galopant aux impasses du « Liban de papa », de l’affairisme aux inerties de la société libanaise, du foisonnement culturel sans limites géographiques ou générationnelles au fonctionnement vicié des municipalités, de la question des libertés, des droits de l’homme et de la censure, aux empiètements et aux infractions de l’État.

Après 1998, Samir Kassir monte sa maison d’édition, lance la version arabe du Monde diplomatique, poursuit son enseignement à l’USJ, écrit des livres de référence dont une Histoire de Beyrouth qui fera date, devient un des éditorialistes influents du Nahar, mène enfin un activisme politique qui sera un des ferments du mouvement de contestation qui démarre en février 2005. Il est assassiné le 2 juin de la même année mais le reste de l’équipe de L’Orient-Express continue de bourgeonner jusqu’à aujourd’hui, dans les secteurs les plus divers, de la communication à la presse, de la littérature à l’entrepreneuriat, du cinéma à la politique, de l’enseignement universitaire à la recherche.

En mettant tous les numéros en ligne, l’idée n’est pas seulement de s’adresser aux nostalgiques mais, une fois de plus, et de même qu’à l’époque, aux nouvelles générations, les seules porteuses d’espoir, comme pour leur dire qu’elles peuvent toujours y aller, toujours se jeter à l’eau, qu’au final nul effort n’est vain, qu’il n’est pas de vie libre sans esprit critique et qu’on ne peut aller de l’avant sans tenir tête aux fouets qu’on nous montre.


lorientexpressarchives.com  vous permet de consulter l'ensemble des numéros parus, numéro hors-série de 2005 inclus. Algarade, les éditos de Samir Kassir, sont aussi consultables séparément.
 
 
"Michel Eddé – aiguillonné par Ghassan Tuéni – fait un choix audacieux qui bouscule les codes de l’époque." "Ce brassage déteint forcément sur le résultat, chaque numéro présentant en continu les styles et les thèmes les plus divers, dans une expérience nouvelle de journalisme."
 
2020-04 / NUMÉRO 166