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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Leïla Slimani, dire par la littérature, sans juger


Par Laurent Borderie
2017 - 11
À l’occasion de la rentrée littéraire de septembre, Leïla Slimani, a publié Sexes et mensonges, la vie sexuelle au Maroc, une longue enquête journalistique sur un sujet tabou dans ce pays, où religion et tradition mettent sous cape la liberté des corps et des sentiments. L’écrivain qui a déjà publié Le Jardin de l’ogre, un premier roman consacré à l’addiction sexuelle de son héroïne, avait lancé une bombe dans le jardin de la bien séance qui laissait entendre l’incongruité d’un tel sujet provenant d’une artiste d’origine marocaine. C’est mal connaître, loin s’en faut, la personnalité de cet écrivain, mais aussi la production littéraire arabe qui laisse aussi une large part à la sexualité. Leïla Slimani ne brisait pas un tabou mais s’en emparait. À l’issue d’une tournée dans son pays natal pour y présenter ce premier opus, l’auteur a reçu les nombreux témoignages de femmes venues se confier à elle sur leur sexualité. C’est de là qu’est venue l’idée de cette enquête qui nous plonge dans les confidences de femmes victimes de cette sexualité cachée qui induit la violence privée et publique. Dans un pays qui se veut le chantre d’un islam tolérant et où le voile n’est pas une obligation pour les femmes, il semble que les Marocaines fassent l’objet d’insultes, de remarques désobligeantes, d’agressions sexistes dans les lieux publics… C’est ce que rappelle Leïla Slimani avec force dans cet ouvrage précieux. « Si l’on s’en tient à la loi telle qu’elle existe et à la morale telle qu’elle est transmise, il faudrait considérer que toutes les célibataires du Maroc sont vierges. » Ce livre de Leïla Slimani est d’une rare nécessité, il permet de donner à penser que la liberté humaine passe aussi bien par l’esprit que par le corps et donne à voir la violence induite par la frustration de toute une société.

À l’occasion de la venue de Leïla Slimani au Salon du livre, L’Orient littéraire republie des extraits de l’entretien que lui avait accordé l’auteure après avoir remporté le prix Goncourt pour son roman Chanson douce.

Comment vous est venue l’idée d’écrire une histoire aussi noire ?
Il y a longtemps que j’avais envie d’écrire sur les relations entre une famille et une nounou. Il y a quelque chose de romanesque entre les personnes qui servent les intérêts d’une famille et leurs employeurs. Ce sont des gens qui investissent un cadre de vie qui n’est pas le leur, qui vivent dans une famille à laquelle ils sont étrangers. Rien ne leur appartient dans cet univers et pourtant ils en sont les gardiens. Les domestiques sont les pivots d’une famille et les relations qu’ils entretiennent avec leurs employeurs sont souvent difficiles à comprendre. C’est un sujet vaste et même si, aujourd’hui, le rapport à la domesticité a évolué, les relations noueuses sont toujours présentes. 

On note que vous vous attachez peu au jugement de vos personnages dans vos romans : vous décrivez crûment les faits, les gestes, les paroles de vos héros sans jamais porter de regard extérieur.
Je ne suis pas de ces écrivains qui jugent, qui s’engagent moralement, qui prennent parti, qui ont une volonté de faire partager leurs opinions ou qui veulent décrire le monde tel qu’ils le voient. Je pense que la littérature doit s’affranchir de tout jugement social ou politique. La littérature est là pour dire. Moi je décris, je raconte. Mon intérêt n’est pas de juger, mais de décrire.

Quels sont les auteurs qui ont construit votre vie d’écrivain, qui peuvent l’influencer encore aujourd’hui ?
Il y en a énormément. J’ai toujours été une grande lectrice. Je suis très attachée aux romans russes : Dostoïevski et Tchekhov m’ont toujours emportée, mais j’aime aussi Albert Camus et François Mauriac. J’apprécie également Simenon qui a su si bien décrire la vie de la petite bourgeoisie. Je nourris enfin une profonde passion pour Milan Kundera. Je me suis replongée dans son œuvre lorsque j’écrivais Le Jardin de l’ogre. C’est le romancier du désir, de l’ironie, de la distance, il n’est jamais complaisant.

Parlons de votre style : il est épuré, presque « clinique ». Est-ce délibéré ou plutôt une habitude prise dans l’exercice de votre métier de journaliste à Jeune Afrique ?
C’est une volonté de clarté très nette, de limpidité aussi. J’essaie d’avoir ma propre musique. Elle est parfois mélancolique sans pour autant être lyrique. Mon travail de journaliste m’a aidée à avoir le souci du détail, de l’observation, sans appuyer pour autant, en travaillant par petites touches.


BIBLIOGRAPHIE
Chanson douce de Leïla Slimani, Grasset, 2016, 227 p.

Leïla Slimani au Salon : 
Rencontre autour de son œuvre le 9 novembre à 19h30 (salle Samir Frangié)/ Signature à 20h30 (Antoine).
 
 
© Jérôme Bonnet
 
2020-04 / NUMÉRO 166