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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Jean-Claude Perrier
2015 - 09
Acteur majeur de la vie littéraire française, journaliste, écrivain, académicien, Jean-Marie Rouart aime bien emmener son lecteur là où il ne l'attendrait pas. Lecteur compulsif depuis l'enfance, qui a quasiment appris à lire dans Le rouge et le noir, et qui confie que la littérature lui a «?sauvé la vie?», n'écoutant aujourd'hui que son bon plaisir et le désir de témoigner aux écrivains qu'il admire, qu'il appelle ses «?amis?», toute sa «?reconnaissance?», il a composé une anthologie aussi personnelle que réjouissante. Un vaste panorama de la prose française et étrangère, des origines à quelques contemporains. Rien de professoral dans sa démarche, même si chaque extrait d'un auteur se voit précédé d'une notice parfois longue, de dithyrambes ou même de quelque coup de patte. Cette anthologie est avant tout une invite à lire et à relire, à retrouver ou à découvrir. Même s'il reconnaît que, dans son livre, la littérature francophone est trop peu représentée, Jean-Marie Rouart a pris plaisir à répondre aux questions de L'Orient Littéraire, en avant-première.

Comment vous est venue l'idée de vous lancer dans cette volumineuse entreprise??

Un écrivain, c'est d'abord un lecteur, un fou de littérature, ce qui est mon cas. La lecture est le plus efficace antidote à l'ennui, aux inconvénients et aux malheurs de l'existence. J'ai toujours beaucoup lu, et ce livre a mûri petit à petit. Mais son déclencheur fut une requête de l'écrivain-voyageur Sylvain Tesson, il y a quelques années. Devant demeurer isolé, solitaire, dans une cabane en Sibérie, il m'avait demandé de lui conseiller cinquante livres à emporter. L'idée a fait son chemin. Avec ce désir de faire partager à chacun ma passion pour la littérature, de reconnaître ma dette envers les écrivains qui m'ont sauvé la vie. J'ai mis dans ce livre les plus belles pages que l'on a envie de relire, celles qui font le style de ce qu'on appelle un «?grand écrivain?», même pas forcément très connu.

Dans votre préface, vous remarquez que les anthologies sont en général consacrées à la poésie. Là, il s'agit d'une anthologie de la prose en français.

En effet. Cela n'existait pas. Ma crainte était qu'un poème possède une existence autonome, tandis qu'une page de prose a, en principe, besoin de son contexte pour exister. Tout cela allait-il tenir la route?? Le résultat a dépassé mes espérances. En quelques pages, on retrouve l'identité d'un écrivain, son ADN, sa musique. Le seul critère?: le lecteur aura-t-il envie de le lire, ou pas??

Avez-vous eu envie de faire œuvre utile, pédagogique, vous qui n'êtes pas passé par le cursus universitaire??

Oui, un peu comme le Lagarde et Michard d'autrefois?! J'ai toujours été un «?amateur?», pas un scolaire, quelqu'un dans le moule. C'est l'Académie qui, dans tous les domaines, m'a «?amnistié?»?! Au fond, l'important c'est?: «?qu'est-ce que la littérature?»?? Un écrivain, c'est quelqu'un qui exprime toutes les facettes de la vie, toute la variété humaine. C'est quelque chose d'extraordinaire, un zoo magnifique.

En tant que directeur de ce zoo, vous avez présenté vos écrivains, non point par nationalités, écoles littéraires ni suivant la chronologie, mais par familles thématiques. Dix-sept familles, des «?soleils païens?» aux «?printemps foudroyés?», en passant par les «?moitrinaires?» ou les «?modernes engagés?».

Tout à fait. C'est une question de sensibilité. Il y a même un extrait d'un livre sans auteur, la Bible?!
 
Bien que votre livre soit un pavé de plus de 1 000 pages, quelles sont les limites qui se sont imposées à vous??

Pour des raisons commerciales, il fallait que l'ouvrage tienne en un seul volume, qui sera plus tard repris dans la collection «?Bouquins?», chez Robert Laffont. J'ai voulu y mêler des Français et des étrangers, en me fiant à la qualité de leurs traductions usuelles en français. Des morts et cinq vivants, dont Michel Houellebecq, romancier important même s'il n'appartient pas à mon panthéon personnel, Jean d'Ormesson, Modiano ou Michel Déon… 

Mais pas Le Clézio??

Il aurait pu y avoir d'autres écrivains vivants, en effet, comme Le Clézio. Mais il ne m'a pas marqué. J'ai choisi surtout des auteurs qui m'ont aidé à me construire, en toute subjectivité. On n'est pas aux Jeux Olympiques?! J'ai privilégié un côté non conventionnel, irrévérencieux (par exemple André Rouveyre s'en prenant méchamment à Paul Valéry), peu académique?! Tous les types de prose y sont représentés, sauf le théâtre. Toutes les tendances politiques, sans œillères. Ce qui compte à mes yeux, plus que tout, c'est la saveur d'un texte. Je suis un passeur de goûts.

Naturellement, on s'amusera à chercher ceux qui y sont, ceux qui n'y sont pas et qui auraient dû y être…
 
C'est un livre de fantaisie. Je me méfie de tout ce qui peut être ennuyeux. Il y a, dans mon anthologie, des monstres sacrés, mais pas que ça, pas que des himalayas ni des grands fleuves, pas que des Victor Hugo. Il y a aussi de petites collines merveilleuses et des ruisseaux enchanteurs. À côté de mes grands auteurs de prédilection, Chateaubriand, Stendhal, Tolstoï, Malraux, je cite aussi les cardinaux de Retz ou de Bernis. J'ai voulu réhabiliter certains «?oubliés?», comme Montherlant, ou Pierre Jean Jouve, et faire découvrir des auteurs connus seulement de quelques happy few, comme Gladys Huntington, Luc Dietrich ou Paul-Jean Toulet.

Alors que l'Académie française accueille dans ses rangs de plus en plus d'auteurs issus de la francophonie, qui ont «?le français en partage?», on ne trouve parmi vos «?amis?» qu'un seul francophone??

C'est vrai, le Mauricien Malcolm de Chazal. Mais le choix n'était pas facile. Il faudrait peut-être, un jour, faire une anthologie des prosateurs francophones?!





 
 
D.R.
« Ce qui compte à mes yeux, plus que tout, c'est la saveur d'un texte. »
 
BIBLIOGRAPHIE
Ces amis qui enchantent la vie : Passions littéraires de Jean-Marie Rouart, Robert Laffont, 2015, 1008 p.
 
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