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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Portrait
Nina Jidéjian, la mémoire du Liban
Auteur d’une œuvre abondante, Nina Jidéjian continue à décrypter le passé du Liban avec érudition et rigueur. Portrait d’un écrivain attachant qui a su transmettre sa passion de l’histoire et de l’archéologie à des milliers de lecteurs.

Par Edgar DAVIDIAN
2008 - 09
Plus de seize ouvrages attestent de son inspiration entre faits historiques, objets de fouilles et documents exhumés des bibliothèques rongées par la poussière. Faire parler le temps et la vie aux périodes les plus reculées, dans la notion et le respect d’une vérité belle et attachante dans sa nudité absolue, voilà le don, le talent et l’art de Nina Jidéjian. Les grandes villes du Liban à travers les âges, résurrection d’un passé à la fois glorieux et présent, voilà le prestigieux itinéraire d’une historienne rompue à la tâche. Itinéraire riche et regorgeant de mille trésors à (re)découvrir… À découvrir aussi l’auteure, d’une confondante discrétion et modestie, la femme de lettres et de sciences, l’être qui côtoie depuis près d’un demi-siècle, dans son laborieux travail au quotidien, ces rives fabuleuses où glissent les trirèmes, se reposent pour l’éternité des sarcophages en pierre sculptée et dorment des figurines serties d’or…

Née à Boston au Massachussets, « arménienne à 100 % et libanaise à part entière », Nina Jidédjian est la simplicité et la transparence incarnées. Mélange de culture jamais étalée et d’humour à fleur de peau. « Tout a commencé lorsque j’ai repris mes études à l’AUB vers les années soixante, dit-elle  en français, avec un accent délicieusement anglophone. Quand j’ai épousé Yervant Jidejian, médecin, j’ai vite compris que la chirurgie allait dominer non seulement la vie de mon mari, mais aussi la mienne. Je me suis alors attelée à l’éducation de mon enfant, mais aussi à des activités caritatives et culturelles. Lorsque ma fille s’est inscrite à l’AUB, j’ai pris moi aussi le même chemin, en auditrice libre, pour terminer des études que j’avais interrompues à cause de mon mariage.  J’ai suivi les cours du professeur Zeine, autorité mondiale reconnue, sur l’histoire de l’Empire ottoman. Comme vous devez vous en douter, tout cela s’est bientôt transformé en études régulières, le plus sérieusement du monde, au département d’archéologie et d’histoire ancienne ! Et c’est  en 1965 que j’obtiens mon Master of arts de l’AUB. Ma thèse sur “Byblos, premier millénaire”  provoque une vive discussion entre les professeurs Ward et Baranski sur une date au IIIe millénaire... C’est là qu’intervient le “maktoub” auquel je crois. Puisque ma thèse traitait d’une période plutôt obscure de l’histoire de Byblos, mes professeurs me suggèrent de publier ledit opus. Et c’est ainsi que je me  présente avec mon manuscrit à Dar el-Machreq-Imprimerie catholique.  Heureux hasard ou fortuite coïncidence, on m’informe que  les pères jésuites recherchent justement des ouvrages en anglais sur les sites archéologiques au Liban. Et c’est ainsi qu’est né, en 1968,  Byblos through the ages. Presse élogieuse dans les revues archéologiques et accueil plus que favorable des lecteurs. Un second ouvrage est vite demandé et c’est ainsi que la série  Through ages (À travers les âges) s’enrichit peu à peu de titres sur Tyr, Sidon et Beyrouth. » Le tout, dans un langage clair et accessible. Écrire l’histoire devient l’aventure de sa vie. Jamais la  tentation pour un chemin de traverse ? L’idée d’écrire un roman n’a-t-elle jamais  effleuré Nina Jidéjian ? « Je suis plutôt une scientifique, précise-t-elle. Je suis une historienne qui livre toutes ses sources. Je donne des faits. Jamais je n’interprète. Et quand je fais mes recherches, je me sens chez moi chez les Anciens…  Mais je dois avouer que je suis tentée par l’Arménie. J’aimerai écrire sur Tigran le Grand car je suis familière avec les sources classiques : Plutarque, la vie de Lucullus, Strabon. Non, je n’ai jamais été tentée par la littérature. Le seul livre, en dehors des livres historiques que j’ai signés, est la biographie de mon mari, publiée après sa mort : The surgeon and  the man (Le chirurgien et l’homme). Yervant était un médecin brillant, à la carrière couronnée de succès, mais aussi le médecin des pauvres, d’une bonté, d’un humanisme et d’une générosité infinis. » Son dernier livre, sous presse, s’intitulera Tripoli à travers les âges. Cette cité méconnue n’a jamais cessé d’être un centre animé et actif. Les rues de la vieille ville mamelouke « Tarâbulus » grouillent toujours d’une foule affairée qui rappelle étonnamment la cité du XIVe siècle décrite par Abou’l’Abbas al-Qalqachandi. C’est dans cette continuité entre le passé et le présent que réside le charme de Tripoli « les trois-cités-en-une ». Avec cet opus, Nina Jidédjian complète la série de ses écrits sur les anciennes cités côtières du Liban et nous offre une synthèse des diverses recherches consacrées à cette ville du Nord, fierté des sultans et des émirs mamelouks. Elle y rassemble soigneusement toutes les sources gréco-romaines, byzantines, arabes, croisées et mamelouks qui jettent une nouvelle lumière sur le passé...

Sur ses préférences personnelles, ses lectures, ses souhaits, Nina Jidéjian préfère ne pas trop s’épancher, discrète comme à son habitude : « Ce que j’aime dans la vie ?  La solitude ! Je n’aime pas le bruit. Mais la musique classique est très présente dans mon quotidien : ma fille joue du piano. Pour la télévision, je suis une assidue de la BBC. Pour le sport, je suis une adepte de la natation. » Qu’aime-t-elle lire ? « Chaque matin,  L’Orient-Le Jour. J’ai de nombreux  livres de chevet, des auteurs que j’aime retrouver. Les vies écrites par Plutarque par exemple. On y trouve des détails savoureux. Ou encore Thucycidide, un historien du Ve siècle de la guerre du Peloponnèse. » Comment écrit-elle ? « Avec ce siècle de technologie pointue, je résiste héroïquement  à l’appel de l’ordinateur et je travaille encore avec une machine à écrire, avoue-t-elle. Que l’on n’essaie pas de me convertir au monde de l’informatique ! » Son souhait ? « Que le Libanais apprenne à connaître son passé prestigieux et qu’il sache le respecter ! »

 
 
© Michel Sayegh
« Quand je fais mes recherches, je me sens chez moi chez les Anciens… »
 
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