FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Portrait
Jamil Jabre, l’érudit de Beit Chabab
Romancier et essayiste en arabe et en français, président du PEN Club libanais, Jamil Jabre est une figure incontournable de notre paysage culturel. Biographe de Gibran, mais aussi de Charles Corm et de May Ziadé, il continue, à 84 ans, à échafauder de nouveaux projets.

Par Diala GEMAYEL
2008 - 09
Nommé « Homme de l’année 2007 » par le Rotary Club du Metn, Jamil Jabre est une encyclopédie ambulante : aucun artiste libanais qui ne soit connu de lui ou qui n’ait fait l’objet d’une biographie. « J’ai essayé de mettre en relief le patrimoine libanais », explique-t-il modestement. Naïmeh, Gibran, Corm, Ziadé et tant d’autres ont trouvé en lui un biographe rigoureux et passionnant, « selon le style occidental de la biographie ». « En intégrant la manière dont la vie influence l’œuvre, j’ai écrit dans un style concis et simple, inspiré du français », précise-t-il. De fait, sa biographie de Gibran, publiée aux éditions Naufal, se lit comme un roman et offre des informations inédites qui éclairent d’un jour nouveau l’itinéraire du fils de Bécharré.

Un journaliste précoce

Comment et par où aborder tant de souvenirs et d’expériences ? Jamil Jabre se souvient dans un éclat de rire de son entrée en écriture : « À l’école, j’étais bon en tout, sauf en littérature parce que les professeurs n’arrivaient pas à déchiffrer mon écriture. J’ai voulu relever ce défi. » À 17 ans, il envoie ses premiers textes à al-Makchouf, la première revue culturelle du monde arabe, tenue par Fouad Hobeiche, sans révéler son âge. À partir de là, il ne cesse plus d’écrire. Ce premier de classe, inscrit simultanément à l’Université Saint-Joseph en lettres, sciences politiques et histoire, vit seul à Saïfi, « en célibataire ». Dans son appartement, « la jeunesse vivante » du milieu des années 40 tient un cénacle : les frères Basbous, Camille Aboussouan, Hector Khlat discutent passionnément autour de ce petit homme à lunettes, éternellement souriant.

« Combien y a-t-il de Jamil Jabre ? » s’étonne le directeur de la revue française Preuves, à laquelle il collabore. Sa soif d’écrire est inextinguible : en marge de son emploi – traducteur pour les Chemins de fer et la Poste –, il multiplie les articles aussi bien dans al-Houda (1949-1951), première revue arabe publiée à New York, que dans la première mouture de L’Orient littéraire (1955-1972), qui paraissait chaque samedi. « J’ai aussi fondé avec Georges Skaff et le frère de Ghassan Tuéni La Vie Telle Quelle, raconte-t-il. Mais elle n’a vécu que le temps d’un seul numéro. » Et, pour mieux entretenir son don d’ubiquité, Jamil Jabre sera pendant quinze ans, à partir de 1960, aux commandes d’al-Hikmat : « Je signais “J.J.” à cause de mon travail qui m’interdisait une autre activité », se souvient-il en souriant.

Un écrivain prolifique

Les livres qu’il publie, signés de son nom complet, paraissent avec la régularité d’un métronome. L’année 1955 marque un tournant : « Après les critiques et les biographies, je voulais une création plus directe. » Elle prendra la forme d’un roman en arabe, Après la tempête, qui raconte une déception amoureuse et qui sera traduit en français par son ami Hector Khlat. Près d’un quart de siècle plus tard, c’est L’éclair et la foudre, écrit directement dans la langue de Molière : « C’est le livre que j’ai préféré écrire entre tous parce qu’il aborde la guerre du Liban, une expérience que j’ai vécue douloureusement. » L’homme ne pose jamais sa plume. Sous l’œil bienveillant de sa femme Jacqueline, peintre au talent reconnu, Jamil Jabre écrit « comme d’autres jouent aux cartes ». Il prépare même, pour l’année prochaine, deux parutions. La première, conçue en français, sera consacrée à Michel Chiha. La seconde, écrite en collaboration avec Souad Assaf, enseignante en méthodologie et marketing et relations publiques à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, et ancienne conseillère du ministre du Tourisme, aura pour sujet le Liban : « Nous allons montrer le visage culturel du Liban, précise cette dernière. Cet ouvrage, destiné aux pays d’immigration, sera probablement publié en cinq langues pour rectifier la mauvaise image dont souffre le pays. » À propos de son coauteur, elle témoigne : « À 84 ans, il est si lucide, si enthousiaste à accomplir de grandes choses ! Il lit cinq à six heures par jour. C’est un être très dévoué : je connais de nombreuses personnes qui lui doivent énormément. Et puis, ce qu’il aime vraiment, c’est mettre les grands hommes de son pays en valeur. » L’amateur de grands hommes est entré à son tour au panthéon. Le Rotary Club International lui a remis le prix Paul Harris, qui récompense ceux qui ont marqué leur pays par leur apport, et le Grand Larousse l’accueille régulièrement depuis trente ans.

Au terme de la rencontre, Jamil Jabre avoue avec émotion : « Je suis incapable de vivre En dehors du Liban. D’ailleurs, j’espère un jour publier quelque chose sur Maurice Gemayel, que j’ai bien connu, et me lancer dans un roman autobiographique. » L’érudit de Beit Chabab a tout le temps devant lui…

 
 
© Diala Gemayel
 
2020-04 / NUMÉRO 166