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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Ferrandez chante Giono


Par Ralph Doumit
2020 - 04
Jacques Ferrandez avait livré ces dernières années quelques adaptations remarquées d’Albert Camus. Sous l’écrin de la collection «?Fétiche?» des éditions Gallimard, il avait repris à son compte les récits de L’Étranger puis du Premier homme. Partageant avec le philosophe un lien étroit avec l’Algérie, il avait mêlé aux mots de Camus la chaleur de ses aquarelles, qui sculptent les visages de ses personnages de taches de soleils toujours marquées. Avec Le Chant du monde, il s’attaque aujourd’hui à un autre grand de la littérature?: Jean Giono.

Gina et Danis s’aiment d’une passion naissante. Ils se font des rêves, mais font face au refus obstiné du père de Gina, le bourru et puissant Maudru. Or Maudru est chef de bande, maître de territoire. Derrière son courroux, une région entière se lance dans une traque à la poursuite des amoureux. Son fils en cavale, le vieux «?Matelot?», accompagné d’Antonio le solitaire, longe fleuve et forêts, dans une course contre la montre pour extraire Danis des griffes de son poursuivant. Sur leur route, ils croisent le chemin de personnages les uns plus marqués par la vie que les autres (Toussaint le guérisseur, la «?Mère de la route?», Clara la jeune mère aveugle…). 

Le Chant du monde est, parmi les œuvres de Giono, celle qui a connu le plus de projets d’adaptation, au cinéma comme au théâtre, comme le rappelle Jacques Mény, président des Amis de Jean Giono, dans une postface éclairante. Ferrandez ne se prive pas de puiser dans les textes des adaptations, auxquelles fut mêlé Giono lui-même, de quoi nourrir la sienne. Fidèle aux dialogues de Giono, il nous invite dans un pays où le parler est brut. Lorsqu’ils s’expriment, les personnages usent d’une langue typée qui, de manière étonnante, semble aller à l’essentiel à travers des détours imagés.

Habitué aux récits documentés et historiques (lire sa vaste saga Carnets d’Orient), il se livre cette fois à un récit atemporel. Si les liens qui unissent les personnages, jusqu’à leurs belles amours, semblent s’appuyer sur des stéréotypes desquels les sociétés contemporaines tentent de s’extraire, il n’en demeure pas moins que les passions qui habitent Le Chant du monde, par la force de leur sincérité, parlent universellement. 

Entre rigueur et légèreté, le dessin de Jacques Ferrandez est à la fois classique et spontané. Son trait, qui ne s’appesantit jamais, laisse la place qui lui revient à la couleur?: que de décors légèrement esquissés au noir et qui prennent vie par le mélange des taches d’aquarelles. Dans sa représentation de l’environnement rural, Ferrandez cherche volontiers à montrer la grandeur et l’étendue, offrant des décors de grande beauté en pleines doubles-pages. Mais, jamais dans la surenchère, ils semblent plus chercher à remplir le cœur que les yeux.

Jacques Ferrandez publie en parallèle, aux éditions Mercure de France, Entre mes deux rives, une autobiographie centrée sur son rapport aux deux rives de la Méditerranée. Sa lecture sera, à n’en point douter, une manière d’éclairer d’un jour nouveau ses récits en bande dessinée.

 
 
Chant du monde de Jacques Ferrandez (d’après l’œuvre de Jean Giono), Gallimard, 2019, 160 p.

 

 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166