Par Ralph Doumit
2019 - 07
C’est dans la
lignée de son album La Légèreté, publié en 2016, et dans lequel elle cherchait
le chemin d’un retour à une forme de sérénité après les attentats de Charlie
Hebdo, où elle travailla pendant plus de dix ans, que Catherine Meurisse publie
Les Grands Espaces.
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Elle rend
cette fois visite à la petite fille qu’elle était jadis. Nous sommes à cheval
entre les années 80 et 90. Cette période marque un tournant dans la vie de sa
petite famille. Âgée d’une dizaine d’années, elle suit ses parents décidés Ã
quitter la ville et à élever leurs deux filles dans un environnement naturel en
campagne. Les voilà rachetant les vestiges d’une ferme abandonnée et entamant
sa remise à neuf à leur goût. Il y a, dans cette volonté de construire ce qui
sera leur lieu de vie sur le long terme, l’idée de remodeler le quotidien Ã
leur manière. D’installer des rituels. Comment aménager ce terrain vaste et
vierge ? Entre organisation et improvisation, le processus suit doucement son
cours. Pourquoi ne pas installer un portique, ici, en plein milieu des herbes ?
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Deux maîtres Ã
penser guident cette famille de fervents lecteurs : Marcel Proust et Pierre
Lotti qui, comme le dit simplement le père : « (…) ont dit ce qu’on ressentait,
mais en mieux ». Et d’ajouter : « Ils sont précieux. » Anecdote savoureuse :
lorsque, tardivement, la famille découvre qu’un arbre qu’ils croyaient
appartenir au terrain des voisins s’avère être en réalité sur le leur, ils le
baptisent Swann. Aller chercher le repos à son ombre devient pour les enfants
« aller du côté de chez Swann ».
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À travers le
récit de ces années d’enfance, Catherine Meurisse parle aussi de ce qui change
et de ce qui reste. Il y a chez ses parents une volonté d’installer un mode de
vie durable. La campagne, c’est le lieu des changements au quotidien, mais
c’est surtout le lieu des « choses qui reviennent ». Si ses parents sont Ã
l’âge de souhaiter cette permanence, Catherine est à celui des grands
bouleversements et des découvertes qui façonnent, à commencer par une virée Ã
la capitale, marquée par la visite du Louvre. Alors que ses camarades de classe
s’engouffrent dans le trouble de la puberté qui les rend plus que jamais
autocentrés, elle vit celui de la découverte des différentes manières qu’ont
les artistes de traduire le monde et qui la projette au-delà d’elle-même. Dès
lors, la nature qu’elle habite est vue d’un regard neuf, voire de milliers de
regards. Le récit des Grands Espaces nous rappelle combien cette dialectique
entre les racines terrestres et la vision qui élève est bienfaisante.
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Forgé au
dessin de presse, le trait de Catherine Meurisse est délicieux de drôlerie,
d’attitudes bien vues posées en quelques sobres coups de crayons. Mais ce qui
frappe également, c’est la manière dont elle enrobe ses personnages de décors
aux textures riches, apaisantes, au trait amoureux et caressant. Ces
végétations au crayon velouté, c’est une enveloppe d’amour qui enlace les
personnages.
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Car Catherine
Meurisse raconte ce récit d’enfance avec un amour préalable à tout, comme
hypothèse de base.
BIBLIOGRAPHIEÂ Â
Les Grands Espaces de Catherine Meurisse, Dargaud, 2018, 92 p.Â