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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Le remix image du roman de Sagan


Par Ralph Doumit
2018 - 06
Bonjour tristesse paraissait alors que son auteure, Françoise Sagan, n’avait que dix-huit ans. Impétueux, impertinent, mais à la fois marqué par une sensibilité à fleur de peau, le roman surprendra, et un mélange détonnant d’échos très enthousiastes ou très réticents en feront bien vite un livre culte.

Narré à la première personne, Bonjour tristesse met en scène, à travers les yeux de Cécile, une lycéenne, un petit théâtre de personnages (la fille, le père, l’amante, l’amie amoureuse), dans un jeu de séduction, d’admiration ou de mépris sans cesse changeant. 

Si le roman est court, il n’en est pas moins bavard, et le trouble qu’il jette dans le cœur du lecteur doit beaucoup au phrasé culotté et malin de la jeune Sagan. Le travail d’adaptation en bande dessinée qu’entreprend aujourd’hui Frédéric Rébéna n’est dès lors pas une mince affaire.

Mais voilà que Rébéna, avant de faire œuvre d’adaptateur, fait ici avant tout une bonne bande dessiné. Sans lecture préalable du roman de Sagan, l’album est convainquant, pose un rythme nouveau, qui lui est propre, fait d’ellipses saccadées. Le dessin de Rébéna installe avec assurance une atmosphère lascive, contemplative, qui mêle à la chaleur d’un Loustal la sensualité d’un trait fragile et qui va de l’extrême finesse aux aplats de noir bruts. Face au piège de la répétition, dans ce récit de plus de cent planches qui est une sorte de huis clos à ciel ouvert, Rébéna s’avère être un metteur en scène inventif, qui ne se repose sur aucun système, et joue du graphisme, plus que du réalisme, pour composer ses images. 

Une seconde lecture, mettant le roman et la bande dessinée en parallèle, n'en est pourtant pas moins intéressante. Elle met en lumière le travail de bricoleur expérimenté de Rébéna. Rappelons que ce dernier s’est illustré précédemment dans des récits inspirés de la vie de personnalités réelles : il s'est intéressé au Corbusier, à François Mitterrand ou à Stieg Larsson. Chaque fois, il évite avec soin le piège de la biographie « résumé d’une vie ». Chaque fois, il présente des êtres de chair, de sentiments et de sensations, et n'hésite pas pour cela à faire des choix narratifs qui privilégient des arrêts sur instants et des coupures au montage francs et assumés. C’est cette assurance dans les choix, dans les coupures, qu’il met à profit dans son adaptation de Bonjour tristesse.

De manière un peu hasardeuse, on se fait l’image d’un auteur de bande dessinée, ciseaux en mains, découpant les pages du roman de Sagan, en extrayant les répliques, les disposant sur sa table de travail, les réagençant et en supprimant beaucoup avec la liberté de celui qui connait son métier, sait jouer des non-dits, sait laisser aussi les images parler à la place des mots. Ce travail de condensation, de sélection et de réagencement apparaît, chose troublante, comme l’œuvre d’un auteur plus adulte que Françoise Sagan lorsqu’elle écrit son texte. 

Une expérience de lecture qui se savoure de deux manières : en ayant ou non lu le livre de Sagan.

BIBLIOGRAPHIE 
Bonjour tristesse de Frédéric Rébéna, éditions Rue de Sèvres, 2018, 96 p.

 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166