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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Rage de vivre à l'islandaise


Par Ralph Doumit
2018 - 03

Sur la couverture de La Saga de Grimr s’impose, centré, un visage rageur, jeune mais résolument marqué, et dont les sourcils épais et froncés témoignent d’un tempérament de feu. Le récit ample qui suit, sous le pinceau de Jérémie Moreau, la destinée de ce personnage déstabilisant, vient de recevoir le Fauve d’Or du meilleur album de l’année au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême, succédant à Paysage après la bataille d’Éric Lambe et Phillipe de Pierpont.

 

L’histoire de Grimr se déroule en Islande, au milieu des plaines, des monts, des mers et des falaises. Lorsqu’on découvre ses cheveux rouges et hirsutes, sa bouille ronde et ses yeux perçants en début de récit, Grimr est encore un enfant, orphelin. Trop jeune encore pour se souvenir avec précision de ses parents. Or en Islande, au XVIIIe siècle, celui qui ne tire pas fierté d’une ascendance, celui qui ne se réclame pas d’un père, est comme sans identité.

 

Bouillonnant d’une rage de vivre que rien ne contient, c’est au fil de rencontres avec des individus aussi marginaux que lui, tantôt bandit de grands chemins, tantôt famille isolée sur laquelle pèse une malédiction, qu’il construira un destin, des liens. Il fascinera, sans jamais s’intégrer à eux, ceux qui ont le privilège de vivre en société.

 

Plus de deux cent pages durant, le lecteur le suit à travers les âges dans un récit au souffle épique où chaque scène est chargée affectivement. Jérémie Moreau n’est jamais dans la retenue lorsqu’il s’agit de raconter les sentiments : ses personnages sont expansifs, comme habités par la sauvagerie des éléments naturels qu’ils côtoient. Ils sont d’Islande, le revendiquent, mais, plus que cela, semblent « être l’Islande », incarner la force accidentée de ses paysages et se déployer comme ses grandes étendues.

Jérémie Moreau est de ces jeunes auteurs qui créent des ponts entre animation et bande dessinée. Passé par l’exigeante école d’animation des Gobelins, il garde de cette formation un sens évident du mouvement, et une force dans la caractérisation des personnages. Délaissant les outils numériques qu’il utilisait dans ses premiers albums, il propose ici des pages somptueusement aquarellées. Une technique de l’aquarelle qu’il a développée sur le terrain, à coup de représentations de paysages, lors de longues semaines durant lesquelles il suivit le chemin de Saint Jacques de Compostelle. Certaines séquences muettes de Grimr semblent directement issues de cette expérience, véritable ode à la nature et à ses formes tantôt structurées tantôt aléatoires.

 

La force de l’album tient également dans ce jeu subtil entre héroïsme et quotidien. Car La Saga de Grimr est le récit d’une vie. Parfois grandiose, parfois simplement humaine. Une vie qui porte en elle un potentiel de légende, mais ne l’est pas encore. Il faudra l’œil d’un mystérieux personnage, double vieillissant de l’auteur, qui croise le chemin de Grimr et entreprend d’en narrer les aventures pour que cette vie devienne saga.
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
La Saga de Grimr de Jérémie Moreau, , Delcourt, 2017, 232 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166