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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
L'amnésie comme réflexion de soi


Par Ralph Doumit
2016 - 09
Un homme, mi-trentaine, reste de barbe paresseux, habits maladroits, est extirpé d’une foule compacte et haute en couleurs de carnaval sud-américain par une jeune femme à l’allure décidée, et qui le tire par le col. La couverture de L’Homme qui ne disait jamais non, d’une grande beauté dans sa composition et ses couleurs, synthétise bien l’état de désarroi d’Étienne Rambert, personnage principal de cet album scénarisé par l’inclassable Didier Tronchet et dessiné par Olivier Balez.

Nous faisons la connaissance d’Étienne Rambert alors qu’il est dans un avion qui relie Quito à Paris. Seul souci, Étienne ne se souvient de rien : ni de son identité, ni des raisons pour lesquelles il est dans cet avion. C’est sans compter l’intervention de Violette, hôtesse sur le vol, et qui l’assistera dès l’atterrissage pour l’aider à recouvrer la mémoire. Ce duo, sur 140 pages de compagnonnage, fait de l’écriture de cet album un exercice de ping-pong dialogué quasi-théâtral.

L’amnésie est un ressort scénaristique souvent utilisé. Mais alors qu’il s’agit souvent d’une porte ouverte vers le suspense et les révélations grandiloquentes, Didier Tronchet en fait ici un prétexte à des réflexions plus intimes. La question qu’il pose dans cet album est au fond aussi simple que tranchante : que sentirait un homme s’il découvre les éléments qui constituent sa vie avec un regard vierge de spectateur sans mémoire ? Et quelles conclusions en tirerait-il s’il ne se reconnaissait ni dans son emploi, ni dans le décor de sa maison, ni dans les individus qui forment son cercle amical et amoureux ?

Tronchet met en scène ces lourds questionnements dans des apparats de comédie sociale et romantique, avec un sens du plaisir et une fluidité rafraîchissante qui n’enlèvent rien à la densité du propos, et le retirent au contraire de tout soupçon de prétention. Olivier Balez, quant à lui, jongle avec bonheur entre un trait classique, sans manières, et un traitement des couleurs qui use avec maestria des outils de colorisations contemporaines : textures et salissures dont l’informatique permet de maitriser les emplacements.

Si Dider Tronchet se promène dans le paysage éditorial de la BD depuis belle lurette, Olivier Balez s’impose petit à petit comme un dessinateur majeur de ces dix dernières années.

Le ton mi-léger mi-troublant de ce nouvel album fait écho à un récit qu’il avait proposé quelques années plus tôt avec Arnaud le Gouëfflec au scénario : J’aurai ta peau Dominique A, improbable histoire d’une loufoque tentative d’assassinat du chanteur français du même nom. Ajoutons à cela deux biographies romancées en BD, l’une d’un mystérieux chanteur sans nom ayant exercé dans les années 30, et l’autre de l’urbaniste new-yorkais Robert Moses (avec Pierre Christin au scénario), et voici une carrière éclectique qui va bon train, hors du circuit des séries, sur des terrains variés que relie un dessin à mi-chemin entre un classicisme sobre et une audace contemporaine.

 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
L’Homme qui ne disait jamais non de Didier Tronchet et Olivier Balez (Dessins), éditions Futuropolis, 2016, 144 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166