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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée



Par Ralph Doumit
2016 - 02
Fin 2012, Louis Delas quitte la direction des éditions Casterman pour succéder à son père à la tête de la maison phare de l’édition jeunesse?: l’École des loisirs. Fort de son expérience et des liens étroits qu’il a tissés dans le monde de la bande dessinée, il lance au sein du groupe École des loisirs un département BD?: Rue de Sèvres.

En marge de la surproduction qui touche le monde de la bande dessinée, Rue de Sèvre se démarque en publiant peu, mettant en avant une philosophie d’accompagnement étroit et à long terme des auteurs et des œuvres. C’était certainement le contexte éditorial idéal pour que l’écrivain Pierre Lemaître développe l’adaptation en bande dessinée de son roman Au revoir là-haut, Prix Goncourt 2013.

Souvenons-nous de ce roman qui avait su gagner les faveurs du prestigieux jury tout en usant d’une prose haletante et addictive tout droit issu de la longue expérience de Pierre Lemaître dans le polar. Au revoir là-haut est un récit fleuve retraçant le retour d’Albert et Édouard, deux rescapés de la Grande Guerre. Laissés pour compte, subissant les vicissitudes d’un lieutenant sans scrupule, ils imaginent, comme une vengeance, une gigantesque arnaque pour tromper l’État français et faire fortune.

La bande dessinée, nous le savons, n’hésite plus à développer des histoires sur de grandes paginations. Pourtant, il était difficile d’imaginer comment ce récit aux milles ramifications, aux multiples intrigues croisées, bavard dès qu’il s’agit d’explorer le parcours de chaque personnage, pouvait entrer dans un album sans avoir le goût fade d’un résumé. Le choix de Christian de Metter au dessin fut à ce titre pertinent. Ce n’est pas la première adaptation littéraire de De Metter, puisqu’il avait proposé en 2012 une version BD du Shutter Island de Dennis Lehane pour la collection Rivage/Casterman/Noir.

Son dessin au trait meurtri, aux textures salies, au geste sec, retient le lecteur dans une tension, hors de tout confort. 

L’une des forces du roman tenait en ce que chaque lecteur se faisait une image personnelle du visage violemment défiguré de l’un des deux personnages principaux. Le pouvoir évocateur du dessin de De Metter pourrait se résumer à cette prouesse?: il donne à Édouard des traits, fixe par le dessin cette défiguration, sans atténuer à aucun instant le mystère troublant du personnage.

De Metter et Lemaître proposent de redécouvrir l’histoire d’Albert et Édouard à travers une sélection choisie d’instants chargés, denses, plutôt que d’étirer en longueur le déroulement du récit. Au revoir la primauté de l’intrigue, au revoir les événements se succédant à un rythme effréné. Il ne reste dans l’album que l’essence, un concentré de situations intenses.

Il faut reconnaître le courage de Pierre Lemaître, activement impliqué dans l’adaptation, car il sacrifie ainsi une grande part de son roman au profit d’une transposition subtile à un nouveau medium. Tout au plus regretterons-nous que, sans l’espace nécessaire pour développer les horreurs de ses exactions, le personnage du lieutenant Pradelle, plus charismatique dans le roman, y perde un peu de son aura..


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Au revoir là-haut de Pierre Lemaître et Christian de Metter (Illustra, Rue de Sèvres, 2015, 168 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166