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Bande dessinée
Zeina Abirached : Beyrouth en bulles
En trois ans, Zeina Abirached s’est imposée comme l’une des meilleures créatrices de BD au Liban. À l’occasion de la sortie de son dernier album, Je me souviens, retour sur le parcours d’une jeune artiste bourrée de talent.

Par Jad SEMAAN
2009 - 03
Les albums de Zeina Abirached se sont vendus à plus de vingt mille exemplaires. Édité en France chez Cambourakis en 2007, Le Jeu des hirondelles a été traduit en Espagne chez Sins Entido, aux Pays-Bas chez Oog and Blick et en Italie chez Becco Giallo. Comme si ce n’était pas assez, il faisait partie de la sélection officielle du festival d’Angoulême en 2008. « C’est l’histoire des voisins du 38, rue Youssef Semaani, qui se retrouvent dans l’entrée de l’appartement, chez nous, lors d’une nuit de bombardements », raconte-t-elle. Anhala, Ernest, Chucri et Khaled laissent la place dans son dernier album, Je me souviens, à d’autres personnages de son enfance. La guerre est son terrain de jeu favori. L’enfance où l’on s’amusait à deviner s’il s’agissait d’un départ ou d’une arrivée d’obus est un pays de cocagne où Zeina habite encore. En exergue, elle reprend cette citation : « Rien ne distingue les souvenirs des autres moments. Ce n’est que plus tard qu’ils se font reconnaître à leurs cicatrices. » Zeina se souvient de la collection d’éclats d’obus de son frère, de la publicité « Loulou ? Oui c’est moi », des ongles colorés de la panthère Florence Griffith-Joyner, de Grindayzer (Goldorak), des camping-gaz qui servaient à l’éclairage des devoirs de français, du « tire la bobinette et la chevillette cherra » de Perrault, du clip de la chanson Ayyam el-Loulou de Sabah, du temps où l’on fumait encore dans les avions et où l’on proposait, dans les maisons, des cigarettes sur un plat comme de petits chocolats, etc. C’est un recueil d’histoires modelé sur le Je me souviens de Georges Pérec, un petit délice à l’image du Kit-Kat dont elle se souvient et qui se cachait, nous rappelle-t-elle, sous trois emballages différents. « J’ai appris à lire en déchiffrant les Tintin, Astérix et Gaston de mes parents (ceux qu’on appelait, à l’époque, « les illustrés »)… et à Notre-Dame de Jamhour aussi, où j’ai fait toute ma scolarité et où j’ai dormi une nuit (une nuit racontée dans Je me souviens), dit-elle. Après le bac série L, je suis entrée à l’ALBA pour cinq années d’études de publicité, parce que j’avais envie de dessiner. » Au cours de sa première année à la fac, Zeina découvre la calligraphie arabe, l’encre de Chine, les estampes japonaises. Puis elle passe d’Hergé, Goscinny et Franquin à Gotlib, Bretecher, Tardi, Mathieu, Pratt, Guibert, Baudoin, à Munoz et Sampayo, à Dupuy et Berberian, et à David B. « Ce dernier est un des premiers à m’avoir donné envie de raconter des histoires à mon tour. J’ai commencé à dessiner au moment où j’ai ressenti l’urgence de raconter un souvenir qui me hantait. » À l’ALBA, elle écrit sa première BD, Beyrouth Catharsis, premier prix du festival de bande dessinée de Beyrouth en 2002. C’est l’histoire de la rue dans laquelle elle a grandi, dessinée en une nuit. « Pendant la guerre, la rue Youssef Semaani, qui était située à deux pas de la ligne de démarcation, était barrée par un mur de sacs de sable, et j’ai toujours pensé que c’était une impasse, jusqu’au jour où le mur est tombé… » Après son diplôme, elle travaille un an en free-lance et en 2004, elle débarque à Paris pour une formation en animation 2D aux Arts-Déco de Paris (Ensad) « et, surtout, pour chercher un éditeur de BD ». Elle l’a tellement entendu dire que cela l’ennuie à présent : le style graphique de Zeina Abirached et le choix du sujet (autobiographique) n’est pas sans rappeler le Persepolis de Marjane Satrapi : trait en rondeur en noir et blanc, fausse naïveté dans la narration, décor de ville en guerre, souvenirs d’enfance. « On me dit souvent que mon trait rappelle le sien, mais je pense que c’est surtout dû au succès phénoménal de Persepolis : même les non-bédéphiles ont lu ou vu Persepolis et beaucoup de lecteurs ne se rendent pas compte que le noir et blanc est une “école” en BD. On a encore tendance à penser que le noir et blanc est un “manque de couleur” ou une exception... Je pourrais citer Pratt, bien sûr, David B encore lui... et tant d’autres! »

En 2006, elle publie en France chez Cambourakis sa première BD : 38, rue Youssef Semaani. Il s’agit davantage d’un livre-objet que d’une BD traditionnelle. Son format particulier permet au lecteur de s’improviser un parcours dans le livre un peu comme s’il se baladait dans l’immeuble. Il y eut aussi ce court film d’animation, Mouton, produit dans le cadre de ses études aux Arts-Déco, sélectionné au cinquième festival international de l’animation de Téhéran. Comme Jolly Jumper ou le château de Moulinsart, la fameuse maison du 38, rue Youssef Semaani, qui l’a vue grandir, revient dans tous ses albums. « Mes livres maintiennent mon lien avec Beyrouth et la réinventent. Ils sont le cordon ombilical qui me lie à ma ville ! »

 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Je me souviens de Zeina Abirached, éditions Cambourakis, Paris, 2008.
 
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