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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Bande dessinée
Pablo et Fernande, le maître et sa muse
Que d’artistes à la merci de leur muse. Que de merveilles conçues après l’étreinte. Les sept ans du premier amour d’un jeune peintre espagnol fraîchement installé à Paris s’incarneront dans la période rose (1904 -1906), ou les débuts de Pablo Picasso contés par la voix de Fernande, son inspiratrice.

Par Zeina Bassil
2012 - 06
Paris 1900. Le récit s’ouvre sur un Pablo Picasso qui s’initie aux joies de la ville des lumières en compagnie de son ami le peintre Carles Casagemas, alors que Fernande, en parallèle, est liée à contre-cœur à un homme qu’elle méprise. Par la voix de cette dernière, la narration suit le cheminement vers la gloire d’un Picasso happé par les galeristes et les collectionneurs qui découvrent son talent, et celui de la descente aux enfers qu’elle subit avec son mari qui la maltraite.

Leurs chemins se croiseront par la suite. Alors que le jeune Picasso, en période bleu et morose, apprenait le français grâce aux poèmes de Rimbaud, Verlaine et Apollinaire, et découvrait la malice démoniaque des Françaises extravagantes en voyant son ami Casagemas y succomber tragiquement, Fernande, réussissant à échapper aux griffes de son conjoint, devenait le modèle et l’amante de nombreux artistes de l’époque. Cette situation permet de suivre plusieurs des acteurs de la scène culturelle parisienne qui marqueront leur temps, à commencer par le poète Max Jacob au talent naissant qui deviendra un grand ami de Picasso. Ainsi, ce premier tome – dont le titre prend justement le nom du poète – de la série constituée de quatre albums raconte les débuts artistiques de l’un des plus célèbres peintres du XXe siècle et décrit les péripéties qui mènent à sa rencontre avec la narratrice, Fernande, sa future muse.

Il est sûrement intimidant de s’attaquer à ce géant de l’art et de raconter par le biais du dessin sa biographie. Clément Oubrerie relève le défi avec beaucoup de grâce et d’aisance. Son trait sensible et léger est d’une plasticité et d’une maîtrise irréprochables. Il s’investit dans chaque case et se déchaîne en combinant le fusain et l’encre. Il emprunte à l’auteur de Guernica sa liberté et sa flexibilité tout en suivant ses envies. Oubrerie explique que « ce qui est formidable à cette époque, avant Marcel Duchamp et le surréalisme, c’est qu’il restait énormément de choses à inventer dans le domaine des arts graphiques. On n’était pas obligé d’être hyperconceptuel. Même si la démarche de Picasso l’était parfois, on pouvait rester dans le figuratif sans passer pour un ringard et sans être obligatoirement ironique, comme le sont bien des peintres réalistes actuels ».

L’esprit du maître est omniprésent tout au long de l’ouvrage grâce au dessin expressif d’Oubrerie qui rapproche sa manière de représentation à celle du peintre. On le perçoit en particulier dans une case qui cadre le regard surpris de Max Jacob, dont les arcades sourcilières saillantes dénotent l’influence que l’art africain avait sur les créateurs de cette époque et dans l’œuvre du maître du cubisme en particulier. Il emprunte aussi les couleurs et les compositions des affichistes français en peignant des grandes images qui rappellent le travail de Toulouse Lautrec. 

Le récit – non linéaire – et les dialogues orchestrés par Julie Birmant nous conduisent dans une narration fluide, riche en personnages romanesques et attachants. Elle réussit à combiner des moments de joie, de liberté, de mélancolie, de violence, et décrit avec rigueur et authenticité une époque parisienne passionnante où toutes les folies étaient permises, où tout était possible.

Suite au succès de Aya de Yopougon, primé à Angoulême en 2005, et l’adaptation en BD de Zazie dans le métro de Raymond Queneau, Clément Oubrerie, en collaboration avec Julie Birmant, nous offre une fois de plus un album puissant, premier d’une série dont on attend la suite avec impatience, qui nous fait découvrir un des peintres les plus révolutionnaires de notre temps, à travers le neuvième art.


 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
Picasso Tome 1: Max Jacob de Clément Oubrerie et Julie Birmant, illustration en couleur, Dargaud, 2012, 80 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166