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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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La République, hors ligne


Par Alexandre Medawar
2020 - 04
En ces temps de confinement plus ou moins volontaire, il eût été facile de vous proposer des images à consulter et à apprécier à partir de vos écrans. Depuis plusieurs mois, la culture paie un lourd tribut aux décisions politiques et sanitaires. Musées, galeries, festivals et librairies ont été parmi les premiers à devoir fermer leurs portes. Comme les restaurants, ces institutions vivent de la fréquentation de leurs visiteurs. Les plus fortunées d’entre elles essaient d’offrir à leur public un ersatz virtuel de leurs œuvres en ligne. Par ailleurs, une très large palette de sites Internet ayant trait à la littérature, à la photographie, à l’art dans toutes ses formes, peut être consultée librement, même si c’est au prix d’un espionnage permanent de nos goûts et de nos errements digitaux. Encore faut-il disposer chez soi d’un ordinateur, d’un écran, d’une connexion et d’un minimum de courant électrique , gageure pour de nombreux foyers libanais. Car ni la télévision, devenue moulin à broyer l’intelligence, ni les téléphones « intelligents » ne sont adaptés à la consommation de culture. Tout au plus, sur ces derniers, on consultera :
- le compte-rendu quotidien des victimes du covid-19 par pays,
- les analyses diverses sur l’origine du virus ou sur l’emprisonnement à domicile forcé d’une partie de l’humanité,
- les recettes pour s’occuper joyeusement à cinq dans 60m2 24/7 sans finir comme Natascha Kampusch,
- la profusion de journaux de confinement qui, pour les plus intéressants, serviront de matériaux pour une thèse sur la vacuité et l’ennui d’ici quelques années.

Que reste-t-il alors ? Que reste-t-il quand plus rien ne fonctionne, quand les rues sont interdites à la population*, quand l'économie s'enfonce dans les ténèbres, quand l’électricité se fait la malle, quand les serveurs sont saturés, quand les réseaux sont en panne et que la peur de l'ennemi invisible nous hante ?
Le livre est certainement – après la stèle gravée – ce qui nous reste de mieux. Fait de textes et d’images, il est le meilleur vecteur de la découverte, du savoir, de l'imaginaire, de la fantaisie et de la distraction quand on est coincé entre quatre murs. Il n'est pas une consolation au confinement. Il est patient. Il ne meurt pas. Il supporte le temps long et la poussière. Il n’a pas besoin d’être rechargé une fois par jour. Un peu de lumière lui suffit pour nous éclairer. Il peut même servir à allumer un feu. Pour mieux voir, comprendre et réfléchir. Pour se réchauffer. Pour se libérer de l’isolement et de l’oppression enfin. Lire rend libre.



*Illustration : Patrouille montée de la Garde républicaine inspectant l'attestation de déplacement dérogatoire d'une vieille dame à Paris, le 28 mars, par Géraldine Bruneel, correspondante pour l'agence Gamma à Beyrouth entre 1998 et 2001, basée à Paris depuis 2003 et spécialisée en photographie d’architecture et de décoration.
 
 
© Géraldine Bruneel 2020 / geraldinebruneel.com
 
2020-04 / NUMÉRO 166