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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Beau livre
Beyrouth intra muros


Par Maya Khadra
2015 - 10



En septembre 2015, paraît aux éditions Tamyras l’album de Carla Sayad regroupant plus de 60 aquarelles rendant hommage à la capitale du Liban : Beyrouth. Carla Sayad, artiste-peintre, s’entiche très tôt d’urban sketching. Ainsi, ses croquis égaient la blancheur austère d’une nappe à Moscou, puis s’effilochent sur des cartes routières ou des feuilles vierges au gré de ses pérégrinations et voyages. Mais telle une réminiscence inévitable qui affleure à la surface de la conscience, un voyage d’un autre genre – intra-muros – s’impose le jour où cette artiste décide d’aller à la recherche des trésors improbables que cache Beyrouth, sa ville. À pas feutrés, elle se faufile dans les ruelles à l’asphalte éventré ou dans les quartiers huppés de la capitale, à la recherche d’une « ville perdue ». Ce beau-livre prend l’allure d’un voyage initiatique qui se referme en boucle. Partant de son quartier résidentiel, rue Gergi Zeidan, l’artiste égrène les souvenirs d’un Beyrouth meurtri par la guerre et dissimulant dans ses murs, criblés par les obus, des blessures larvées qui n’ont pas encore cicatrisé. Le premier arrêt dans son pèlerinage urbain est à la « Maison jaune », icône du front de la guerre, délaissée à l’image du pays vitriolé et agonisant. Ainsi, dans des ateliers improvisés au coin d’une rue populaire ou d’une impasse dérobée derrière un gratte-ciel, Carla Sayad définit au feutre noir les courbes d’une arcade délabrée ou d’une balustrade en fer forgé corrodé, les angles d’un toit disloqué en tuiles rouges affadies par le temps, les cabosses des pierres effritées de la façade d’une maison datant du début du siècle dernier… Ensuite, l’aquarelle envahit le vide confiné dans l’espace blanc d’une porte-fenêtre ou d’une porte en bois pour pomper la vie dans les dessins, à défaut de l’instiller dans l’espace étriqué de ces maisons délaissées, dans la vie en vrai. Sur un caisson, il lui est arrivé de reproduire, sur des accents surréalistes, Ramlet el Bayda et la Grotte aux pigeons au vu des badauds qui ralentissaient leurs pas pour lorgner l’artiste happée par son Beyrouth enjolivé par des couleurs que son flair artistique a octroyées aux recoins oubliés de sa ville. Et elle n’a pas lésiné sur les moyens en matière de créativité. En une osmose parfaite se rapprochant d’une synesthésie des sens, l’odeur du vinaigre s’émanant d’une épicerie libanaise traditionnelle s’est mariée aux couleurs acidulées d’un croquis, le séculaire au moderne, le modeste au tarabiscoté dans une œuvre qui en voulant regrouper tous les paradoxes d’une capitale levantine, s’est avérée porteuse d’un message retentissant comme des sirènes stridentes : « Halte à la destruction du patrimoine libanais ! »


 
 
© Carla Sayad / Tamyras
 
2020-04 / NUMÉRO 166