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Les parfums de Tripoli


Par Jabbour Douaihy
2012 - 04
En un seul cliché, un photographe inspiré, comme l’était sans aucun doute feu Mario Saba, pouvait réunir, sur le flanc gauche de la rivière Abou Ali, la grande citadelle croisée de Raymond de Toulouse avec ses pierres de sable éternelles, la mosquée Bourtassi bâtie vers la fin du XIIIe siècle, admirable vestige entre mille de l’époque mamelouke, la « mawlawia » ottomane qui abritait la confrérie soufie des derviches tourneurs du même nom et actuellement rénovée par les bons soins du gouvernement turc, un bâtiment datant du mandat français qui avait servi comme l’une des premières écoles publiques de la ville et qu’on pouvait voir orner l’ancien billet libanais de 25 livres, le tout cerclé d’habitations vétustes que de timides donateurs cherchent parfois, pour des raisons électorales, à en rafraîchir les façades sur rue pour mieux cacher la misère des habitants. L’« étagement » architectural des époques apparaît ici dans sa plus éloquente expression. C’est à cette ville multiple, gardienne de l’histoire, que l’Université de Balamand consacre, sans lésiner sur les moyens, un somptueux album photos qui visite les différentes facettes de la deuxième ville du Liban. Ou plutôt la seule ville, aux yeux d’Élie Salem, président de l’université et initiateur du projet : « On parle de Tripoli comme étant la deuxième capitale du Liban après Beyrouth et on la classe deuxième ville avant Saïda et Sour et d’autres villes. Pour moi, elle est la ville par excellence. La capitale. Depuis que j’entendais mon père dire qu’il descendait (de notre Koura natal) en ville sans autre précision puisqu’il ne pouvait s’agir que de Tripoli », écrit-il dans la préface. Le texte, fort bien documenté, est confié à une Tripolitaine de souche, Hind Adib, professeure de littérature arabe à l’université, et les prises de vue seront le dernier travail effectué avec beaucoup de brio par l’artiste-peintre Mario Saba, décédé juste avant la parution de Tripoli, ville de toutes les époques.
Il y a bien entendu les incontournables. Les forteresses d’abord, la citadelle croisée de Saint-Gilles et l’autre, plutôt une tour mamelouke, « la tour des Lions », gardienne du littoral et voisine de la gare désaffectée de chemin de fer… Les mosquées à valeur historique et patrimoniale sont essentiellement de tradition mamelouke, al-Mansouri, al-Uwaysiyat, Sidi Abdul Wahed, Tinal… Lieux de prière musulmans à proximité, voire adossés à des églises : la cathédrale Saint-Georges bâtie en 1873 avec son précieux iconostase, ou plus récente, Saint-Maron avec ses pierres blanches. Les souks et les khans défilent aussi avec leurs « épiciers », les fameux attareen, les pâtissiers traditionnels, le marché aux poissons, ses cafés de toutes sortes, ses hamams, ses escaliers et les visages hiératiques rencontrés au gré d’une promenade dans les ruelles bruyantes de commerce et de vie.

En plus de tout cela, Tripoli est « l’odoriférante », al fayha’, à cause de la senteur des fleurs d’orangers qui l’envahissaient au printemps quand elle était encore entourée de vergers, c’est la ville des douceurs arabes, de la chorale des muezzins et des carillons de cloches, et comme le dit Hind Adib, « une ville transparente qui découvre les strates de son histoire devant le regard passionné ». L’album de l’Université de Balamand est un magnifique hommage à une ville mal aimée et qui a pourtant beaucoup à donner. 

 
 
 
 
« Une ville transparente qui découvre les strates de son histoire devant le regard passionné »
 
BIBLIOGRAPHIE
Tripoli, City of all eras de Hind Adib (texte arabe), Mario Saba (photographie), Université de Balamand, 253 p.
 
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