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L’école, entre le passé et l’avenir
Véritable Janus, l’école puise l’essentiel de son enseignement dans le passé mais n’a d’autre but que celui de préparer l’avenir.

Par Lamia el-Saad
2017 - 02
Devant assumer pleinement ce rôle de relai, l’école demeure sans cesse dans la hantise « de perdre de vue les horizons de la modernité, qui ne cessent pourtant d’être repoussés plus avant ».

De 1968 à 2010, Xavier Darcos s’est consacré à l’enseignement : il fut, entre autres, maître auxiliaire, professeur de collège puis de lycée, professeur de classes préparatoires en province, professeur de chaire supérieure à Paris, professeur d’université, inspecteur général de l’Éducation nationale, ministre délégué à l’Enseignement scolaire, ministre de l’Éducation nationale… Auteur de nombreuses publications parmi lesquelles le Dictionnaire amoureux de la Rome antique, il nous livre aujourd’hui le Dictionnaire amoureux de l’école. Homme de pouvoir, il ne néglige pas l’aspect politique de ce sujet : la laïcité et les signes ostentatoires, l’école privée et l’école publique, les réformes et les grèves…

Jadis enseignant, il s’attarde sur l’aspect pédagogique et cite le « modèle scandinave » en exemple. En revanche, la méthode Decroly, mieux connue sous le nom de « méthode globale », ne semble pas trouver grâce à ses yeux. Mise au point par un neurologue belge et initialement destinée aux enfants en grande difficulté scolaire ou atteints de troubles du comportement, cette méthode aujourd’hui décriée est cependant bien plus qu’une simple technique d’apprentissage de la lecture ; elle recouvre un « programme pédagogique beaucoup plus vaste et généreux » basé, entre autres, sur l’épanouissement personnel. 
Lanceur d’alerte, Darcos déplore « la baisse générale des compétences orthographiques des jeunes Français » et avoue avoir été élevé « dans le culte de l’orthographe et du verbe exact ». Il souligne l’importance des dictées dont le barème était autrefois bien plus sévère qu’aujourd’hui (une faute grave pouvant faire perdre 4 points) et dénonce le fait que la notation se soit « beaucoup assouplie ». 

Bien plus, Darcos accuse… et qualifie les langues mortes de langues « tuées » ! Comble de l’ironie, les mentions du baccalauréat sont « en hausse » ! Ce leurre est en partie dû à « la multiplication des options “rémunératrices” assorties d’un coefficient généreux (…) Faute de soigner le malade, on change le thermomètre ».

Nullement dupe de quoi que ce soit, l’auteur nous révèle « l’absurdité d’un certain jargon » qui qualifie le stylo d’« outil scripteur » et définit la natation par le fait de « se déplacer dans un milieu aquatique profond standardisé » ou encore par celui de « traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête ». Outre son aspect ridicule et risible, il est évident que cette modification des termes ne résout absolument rien.

Un peu espiègle, Darcos ne manque pas d’humour dans le choix de ses propres expressions et dans celui des entrées, parfois inattendues, de son dictionnaire. Sur le sens figuré du mot Cancre qui désigne, au sens propre, un animal, il écrit : « Est-ce parce qu’ils ont une démarche lente et oblique, ou bien à cause de leur épaisse carapace que ces pauvres crabes ont, par analogie, donné leur nom aux élèves nuls et paresseux ? »

Si l’école n’a pas toujours été ce qu’elle est, elle doit son visage actuel à Ferdinand Buisson, Charlemagne, Condorcet, Victor Duruy, Jules Ferry, Ernest Lavisse, Maria Montessori, Jean Zay et bien d’autres… 

Darcos cite également dans son dictionnaire des hommes de lettres incontournables des programmes scolaires. Si Camus y figure sous l’entrée « Premier Homme », c’est parce qu’il dévoile dans ce récit autobiographique inachevé ce qu’il doit à son instituteur Louis Germain, lequel a su voir en cet orphelin de père l’auteur qu’il promettait d’être. Nobélisé, Camus lui exprima sa reconnaissance : « Quand j’ai appris la nouvelle, ma première pensée, après ma mère, a été pour vous. Sans vous, sans cette main affectueuse que vous avez tendue au petit enfant pauvre que j’étais, sans votre enseignement, et votre exemple, rien de tout cela ne serait arrivé. »

Considérer que le jeu est « le contraire du nécessaire et de la contrainte, donc de l’école », est une erreur d’adulte : « rien de plus sérieux, concentré et productif qu’un joueur ».

Avoir la nostalgie de l’école qui demeure associée aux devoirs et aux interdits peut surprendre… Certes, chacun a sa propre nostalgie et sa propre enfance, mais n’avons-nous pas tous ressenti, dès la fin du mois d’août, « le signal démoralisant d’une agitation commerciale qui anticipe l’automne », saison durant laquelle les odeurs de terre mouillée se mêlent à un certain parfum de rentrée ?


 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Dictionnaire amoureux de l’école de Xavier Darcos, Plon, 2016, 656 p.
 
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