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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Le pays où l’on ne se décide jamais


2017 - 12
Durant vos années d’école, vous aviez, vous, l’élève modèle, une amie de classe bien plus fantaisiste que vous, qui vous appelait le soir pour vous demander « s’il y avait demain guerre ou bien test de maths ».

À votre sens, cette anecdote malicieuse d’ado illustre parfaitement la vie de votre pays où rien n’est jamais clair, cohérent ou définitif. En effet, en octobre, les écoliers rentrent à l’école : ambiance cartables lourds, tabliers gris, stylos qui débordent et sandwichs mal emballés. Cela devrait logiquement s’accompagner des premiers frimas, de parkas et de grosses bottes et des feuilles d’automne qui se ramassent à la pelle. Pas chez vous où vous vous prélassez encore à la plage, peaufinant votre bronzage en sirotant une limonade glacée. En novembre, vous devriez normalement mettre vos tapis et vous pelotonner dans un gros fauteuil près de la cheminée pour passer l’hiver. Pas du tout, étrangement, l’été est encore là qui vous réserve de magnifiques journées de soleil et de lumière que vous envient vos amis français déjà englués dans les tunnels de métro blafards et les aubes grisâtres des hivers européens.

Quant à la « situation du pays », elle constitue une autre illustration de ce Liban de tous les possibles. Avec votre mauvais esprit légendaire, vous l’avez remarqué : vos amis expatriés adorent que ça aille mal chez vous, avec un véritable pic jubilatoire lors de la crise des déchets. Cela les console du fait qu’ils doivent faire eux-mêmes leurs courses, leur vaisselle et leur ménage. À la moindre secousse, vous recevez des coups de fils alarmistes, faussement compatissants : « Alors, ma pauvre, il paraît que la guerre est aux portes, que l’économie est au plus mal, que vous allez tous être mis au chômage et que vous allez bientôt manquer de tout ? » Heu, vous devez nuancer : « Oui, oui, mais le dîner somptueux des Abou-Machin est maintenu pour ce soir et le grand mariage de samedi aussi. Si, si, le festival aura bien lieu. » D’ailleurs, vous devez raccrocher, vous êtes en retard pour le délicieux brunch musico-culturel de votre nouvelle copine d’aquagym.

Rien de sûr, je vous dis, rien de logique, et surtout surtout, rien de définitif. C’est peut-être ça la liberté ?
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166