FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Signature


2013 - 12
À l’heure où le livre, dit-on, ne fait plus recette, tout le monde s’y est mis : de la mondaine qui raconte ses vacances d’enfant au Grand Hôtel de Aley, façon Comtesse de Ségur modernisée, au prêtre de votre paroisse qui vient de réunir ses sermons dominicaux – déjà mortellement ennuyeux lorsqu’il les déclame à l’église de sa voix monocorde – en passant par la spécialiste des sites antiques qui vous gratifie chaque année d’un « beau livre » pesant jusqu’à cinq kilos qui manque de vous démettre l’épaule. Sans compter les randonneurs du dimanche qui viennent de publier Le livre des bonnes herbes de montagne et le juriste obscur auteur d’un ouvrage portant, sous une couverture tarabiscotée, le titre limpide de Saisie en référé-provision en matière de voies d’exécution dans le droit comparé de la procédure civile que vous trépignez de lire. Jusqu’au fils des voisins dont les parents, bien nantis, n’ont pas reculé devant l’impression des premiers gribouillages (on ne sait jamais) et à votre brave tante Jeannette que l’on a tant complimentée sur son riz au poulet que, se prenant pour la nouvelle Martha Stewart, elle n’a pas hésité à grouper ses recettes dans un gros ouvrage illustré portant le titre nostalgique des Meilleures recettes d’autrefois. 

Et ce n’est pas tout. Soucieux de postérité, les apprentis écrivains tiennent à signer leur œuvre. Même la première. Ou celle dont les qualités littéraires restent à prouver. Quand ce n’est pas en novembre, au Salon du livre, le nec plus ultra, dans une librairie bien cotée avec, autour d’eux, le plus de monde possible.

C’est ainsi que vous vous retrouvez à piétiner avec d’autres malheureux dans une file digne de celles de l’approvisionnement durant l’Occupation. D’abord pour acheter le livre. Vous remarquez le large sourire du libraire, enchanté que « son » auteur, si mondain, ait « drainé » tant de monde. Ensuite, pour faire dédicacer l’ouvrage. Pour les premiers venus, l’auteur « personnalise » ses phrases. Il réfléchit longuement, ajoute un mot, se remémore une anecdote qu’il note consciencieusement avant de dater et de parapher joliment le livre. Pour les autres, et à mesure que la file s’allonge, c’est plutôt du travail à la chaîne, du genre « Amitiés, M.C. ».

Alors que vous vous effondrez de fatigue, vous êtes rattrapés de justesse par un maître d’hôtel en gants blancs qui vous offre en souriant de délicieux petits-fours arrosés d’un champagne bien frais.

Les signatures ont quand même leur charme.
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166