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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Concerto à la libanaise


2012 - 04
C’est une soirée d’hiver pluvieuse avec averses et giboulées. L’occasion rêvée pour ces dames d’arborer manteaux de fourrure et pelisses en vison. On caquette fort à l’entrée de la salle de concert. On sent que c’est, de loin, le moment le plus amusant de la soirée. Une manière de compenser le silence forcé qui va forcément suivre.
Lorsque la cloche sonne, les spectateurs entrent sagement dans la salle comme des pensionnaires terrorisés par la mère supérieure. Visiblement, ils font un gros effort pour éviter les froissements, craquements et autres bruits de chaises, mais ne peuvent s’empêcher de chuchoter comme des conspirés.
Le concert – de musique classique – commence. Deux dames assises au premier rang prennent un air prodigieusement intéressé, alors qu’une bimbo au décolleté ravageur croit faire intello en dodelinant de la tête et en rejetant ses longs cheveux blonds en arrière d’un air inspiré. Un peu plus au fond, une ménagère consciencieuse profite de la semi-pénombre pour écrire frénétiquement sur son agenda. On soupçonne qu’il s’agit d’une liste de détergents à acheter. Quant à l’homme d’affaires surmené, il soupire, croise et décroise ses longues jambes, change de posture et lance des regards désespérés à sa femme en rêvant de pouvoir consulter le CAC 40. Assis près de la porte de sortie, un célèbre chirurgien tape subrepticement sur les touches de son portable. Opération urgentissime ? Plus vraisemblablement, mamours à sa jeune maîtresse étant donné les regards apeurés qu’il lance à Bobonne, bourgeoisement installée à ses côtés.
Pendant les pauses, des toussotements nerveux se font entendre dans la salle. De petits malins en profitent pour sortir discrètement. On a beau regarder, on ne les voit pas revenir. On les retrouvera devant le bar, faisant copain-copain avec le barman, égrenant avec lui blagues salaces et potins politiques. 
Alors que les notes de musique ralentissent, chacun se demande avec angoisse si c’est la fin du premier morceau et s’il faut applaudir ou pas. Les plus téméraires se lancent dans des applaudissements d’autant plus chaleureux qu’ils espèrent la fin du calvaire proche. Ils sont vertement tancés par un critique de musique connu, visiblement scandalisé par leur ignorance, et battent vite en retraite.
De longues minutes plus tard, la fin du concert est saluée par des ovations enthousiastes. À croire que ceux qui applaudissent ne sont pas ceux qui ont assisté si impatiemment au concert. C’est qu’ils sont surtout impatients d’aller dîner. Ce sont des fanas de l’après-concert (et de l’après-ski ?) mais aussi, à coup sûr, des masos qui s’ignorent...
 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166