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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le clin d'Å“il de Nada Nassar-Chaoul
Koullouna


2011 - 12
C’est une belle journée de novembre ensoleillée. Une parenthèse fériée au milieu de la semaine, alors que le reste du monde travaille. Pénible à expliquer aux clients étrangers qui font poliment semblant de comprendre, mais ragent en secret que vous ne soyez pas au boulot ce jour-là. 

C’est que traditionnellement, c’est le jour où, au Liban, on bascule dans l’hiver. On profite du congé pour dérouler ses tapis rougeoyants qui sentent encore la naphtaline, mais rendent immédiatement la maison plus « cosy ». On range dans un obscur placard les maillots blanchis par le sel, les tongs dépareillées et les sacs de plage défraîchis, avec le sentiment que l’été ne reviendra jamais. 

À la télé, les premiers flonflons de la fanfare se font entendre. On n’y jette qu’un coup d’œil furtif. Fini le temps où, petite fille, on assistait, émerveillée, au défilé du 22 novembre. On y voyait, en noir et blanc, de graves messieurs en redingote et lunettes cerclées de métal passant en revue des officiers en grande tenue au garde-à-vous. Peu après, solennelle, la parade miltaire débutait, dans un déploiement de drapeaux rouge et blanc claquant au vent et de sabres étincelants. Et lorsque les chars de l’armée apparaissaient au loin, notre petit frère, tout fier, battait des mains.

Depuis, de nombreux petits chefs ont voulu jouer aux petits soldats et à organiser des défilés. Ils ont fait de leur mieux, à coups d’uniformes kaki chamarrés, d’armes déployées pour faire peur, de musique guerrière et de discours enflammés sur le martyre pour la patrie. Chacun d’eux, à son tour, a juré qu’il était le vrai sauveur, et beaucoup l’ont cru. Et beaucoup sont morts de l’avoir cru.

Alors, à force, la magie de ce jour-là avait disparu. Et les preux chevaliers vous avaient désormais comme un air de soldats d’opérette. 

Alors on se demandait pourquoi, en ce 22 novembre 2011, la vue de ces grands gaillards bruns, si jeunes, la nuque raide et le regard fixé au loin comme on le leur avait appris, qui y croyaient encore, vous faisait monter les larmes aux yeux.

Koullouna.
Lil Watan.
 
 
D.R.
 
2020-04 / NUMÉRO 166