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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Tarek Abi Samra
2017 - 11
Dans son dernier roman L’Empereur à pied, Charif Majdalani nous livre une fable à mi-chemin entre mythe et réalité historique. C’est un récit haletant qui débute sur les nobles sommets du Mont-Liban au milieu du XIXe siècle et finit par la toute récente crise des déchets.

Vers l’an 1835, un homme sans le sou, surgi de nulle part, arrive avec ses trois fils au hameau de Massiaf. Il s’appelle Khanjar Jbeili et il a l’âme d’un conquérant?: en quelques années, il fonde un domaine, devient collecteur d’impôts (des rumeurs circulent qu’il aurait assassiné son prédécesseur), amasse une grande fortune et se transforme en l’un des seigneurs de la région. Pour éterniser son nom et préserver ses biens incalculables de l’éparpillement, il impose une loi tyrannique à tous ses descendants?: seul l’aîné de chaque génération aura le droit de se marier et d’avoir des enfants, tandis que ses frères devront se contenter de l’assister dans la gestion du patrimoine familial. Celui qui enfreindra cette règle sera déshérité et renié par son clan.

Cette loi insensée est maintenue par cinq générations. Beaucoup de sang sera répandu par les membres du clan Jbeili, dont quelques-uns iront jusqu’à commettre des fratricides. Ce sont tous des êtres maudits, portant en eux la violence originelle de l’Empereur. Mais le véritable propos de ce roman vertigineux qui embrasse un siècle et demi de l’histoire du Liban, voire de celle du monde, c’est la transformation des Jbeili en une famille de la grande bourgeoisie commerçante libanaise, classe qui sera elle-même détrônée par les chefs de la guerre civile et les mafieux qui les singent, parmi lesquels les deux plus jeunes descendants de l’Empereur.

Peut-on lire votre roman comme l’histoire de l’ascension puis du déclin de la grande bourgeoisie commerçante libanaise, et de son remplacement final par les chefs de guerre et les mafieux?? 
Certainement. C'est même une part du sujet de la dernière partie. Les transformations historiques et leur impact sur les sociétés et sur les individus m'ont toujours passionné. D'ailleurs, dans ce livre, il n'y a pas que l'émergence d'une nouvelle classe sociale à l'issu de la guerre. La famille Jbeili dont je conte l'histoire émerge à la faveur d'un mouvement bien plus ancien qui, dans la montagne, a abouti au déclin des vieilles familles aristocratiques et à leur remplacement au pouvoir, tant économique que politique, par une nouvelle caste souvent constituée de ces hommes qui furent les «?intermédiaires?» dans le système ottoman de la collecte d'impôts, une caste qui sera le ferment de la bourgeoisie libanaise. Ce changement va progressivement s'accompagner d'une modification de l'économie locale qui passera d'une économie agricole à une économie de secteur tertiaire, essentiellement basée sur le commerce. La famille Jbeilli vit et illustre ces transformations, elle est issue de cette caste que j'ai dite, et elle va finir lentement par abandonner ses terres ou transformer son rapport à elles, avant de se heurter, au moment de la guerre, aux milices et à leurs nouvelles manières de regarder les rapports sociaux et la propriété terrienne elle-même.

L’impossibilité de démêler la réalité de la légende est un des motifs récurrents de ce récit. On est cependant tenté de vous demander?: y a-t-il une part de réalité dans la légende du clan Jbeili??
Je ne pense pas, j'ai quasiment tout inventé. Évidemment, comme dans tout livre, certaines des situations peuvent avoir été inspirées de faits réels. Mais c'est surtout le mouvement de la société ou certaines attitudes de groupe, telle celle des jeunes gauchistes issus de la bourgeoisie au début des années 70, qui collent vraiment à la réalité. Les personnages, eux, leurs aventures à travers le monde, ou encore l'enchaînement des faits qui constituent l'histoire propre des Jbeili, tout cela est inventé.

 
BIBLIOGRAPHIE 
L’Empereur à pied de Charif Majdalani, Seuil, 2017, 400 p.

Charif Majdalani au Salon?: 
Rencontre autour de L'Empereur à pied le 11 novembre à 16h30 (salle Samir Frangié)/ Signature à 17h30 (Antoine).
 
 
D.R.
« Tout cela est inventé. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166