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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Par Laurent Borderie
2016 - 05
Nous les connaissons tous ces hommes politiques à la posture toujours agile au verbe sûr. Et pourtant, lorsqu'ils marchent, un bruit sourd de casseroles, de scandales, agite chacun de leurs pas. Ces hommes au-dessus des lois semblent inatteignables et le sont peut-être. Pourtant, un jour ils peuvent être rattrapés par une mort brutale et les vérités, les non-dits explosent. Dans La Renverse, Olivier Adam nous raconte l'histoire d'Antoine, une victime collatérale d'un scandale politico-sexuel qui a agité une ville de province jusqu'au gouvernement. Sa mère, véritable Pompadour de ce maire-ministre était intimement impliquée dans cette sordide affaire. Toute sa famille sera comme passée au vitriol, flagellée par ce scandale qui laissera si peu de place à Antoine et son jeune frère. Quelques années plus tard, Antoine vit en marge, ne veut rien construire, il essaie de recoller les morceaux de toute cette histoire à laquelle il n'a jamais participé. Il n'était pas de ce monde, il était ailleurs, mais les bris de verre lui entaillent encore la peau. C'est par le récit qu'il transcendera le non-dit, et c'est dans un style magnifique qu'Olivier Adam nous raconte une histoire que l’on imagine déjà sur les écrans.

C'est souvent dans les faits de société que vous puisez votre source d'inspiration. Vous considérez-vous davantage comme un écrivain du fait social que comme un auteur de l'imaginaire??

Chez moi, l’imagination prend racine dans le réel. Comment vivons-nous aujourd’hui et maintenant, dans la société qui nous entoure?? Comment fait-on avec l’amour, la filiation, le deuil, les classes sociales, le travail, la politique?? Dire nos vies dans ce qu’elles ont de plus intime et dans leurs aspects les plus collectifs est important pour moi. La société, le fait social nous traversent, nous altèrent, nous conditionnent. Si on veut dire quelque chose de l’humain, on ne peut s’en abstraire. Je pars de l’humain pour travailler le social ou d’un fait social pour sonder l’intime. Dans les deux cas, je tente de réunir ces deux dimensions.

Vous écrivez un roman sur la place de chacun au sein d'une cellule familiale. N'est-ce pas une illustration de ce que l'on pourrait appeler la génération «?Cronos?», celle qui n'hésite pas à sacrifier ses enfants??

Ils sont de jeunes gens «?orphelins?» de parents toujours en vie. Des adolescents ou de jeunes adultes laissés pour compte par des parents tournés vers eux-mêmes, leurs ambitions, leur image, leur perversion, la conservation de leur pouvoir. Totalement occupés à des activités troubles dont on ne saisit que des bribes, voilà le motif de départ de ce livre. J’ai pensé aux narrateurs de Patrick Modiano. Et aussi à ce très beau livre de Richard Ford, Canada, dans lequel une famille apparemment sans histoire explose quand les parents se révèlent être des braqueurs. Dans La Renverse, cet événement va expulser les enfants de leur propre vie. La question de la domination est au cœur de mon travail. Elle est sociale, culturelle, économique, mais aussi familiale. La Renverse renvoie à une réalité qui s’apparente à une forme de maltraitance psychologique à l’égard des enfants, de la part de parents si préoccupés d’eux-mêmes, si narcissiques, égocentriques, qu’ils les abandonnent. 

Antoine reconnaît qu'il n'est ni de ce monde, ni de cette famille?: «?Je n'étais pas là avant de prendre la fuite, j'étais déjà ailleurs.?» Pourtant à la fin il retrouve l'espoir... Y a-t-il un peu d'Olivier Adam dans ce personnage??
Le sentiment d’étrangeté au monde m’habite. Celui d’une identité trouble, multiple, fractionnée. Comme une sorte d’inaptitude à être présent à sa propre vie. Ce sont des traits qui me caractérisent et que je résous dans l’écriture. J’ai mis du temps, mais j’ai fini par comprendre que c’était une chance que de ne se sentir lié à aucune identité déterminée. De n’avoir ni mémoire ni racines. Cela offre la possibilité de se réinventer, une forme de liberté personnelle absolue. Et c’est une perspective vraiment joyeuse à l’heure d’un repli identitaire qui tend à nous réduire et à rabougrir la France…

Antoine devient libraire après cette histoire sordide. Pouvons-nous, comme lui, trouver refuge dans les livres??
Dans les livres et la mer je crois. Cela vous lave et vous remplit à la fois. L’essentiel de nos vies se joue à l’intérieur de nos cerveaux. C’est pour cela que la fiction nous aide tellement et qu’elle peut parfois suffire. Nos vies tiennent dans des dés à coudre. Lire nous élargit, ajoute de la vie à la vie.

Vous dressez le portrait sans fard d'un univers politique odieux. En France, il est rare, contrairement à d'autres pays, de trouver de tels sujets dans les livres.

Cela fait longtemps que je tourne autour du politique. À travers mon travail sur les migrants, les zones périurbaines et le sentiment de relégation. Mon livre Les Lisières avait pour bruit de fond la «?pré-campagne?» présidentielle qui a abouti à l’élection de François Hollande. Là, je voulais questionner le problème de l’impunité. La perception qu’ont les électeurs de certains hommes politiques qui se placent au-dessus des lois, s’en sortent toujours, en faisant usage d’une brutalité et d’un abus caractérisé de leur pouvoir. Cela pose de vraies questions démocratiques et alimente l’abstention et le vote extrême. Et, même si les électeurs s’en rendent parfois complices (ils réélisent ces mêmes hommes politiques pourtant bardés de casseroles), ce n’est pas seulement un sentiment, mais une réalité suffisamment répandue pour qu’on l’interroge dans ses mécanismes récurrents?: clientélisme, complaisance et collusions en tous genres. Les mêmes réflexes de défense, souvent relayés complaisamment par la classe politico-médiatique?: on crie au complot. Puis on entreprend de décrédibiliser par tous les moyens les plaignants, ou les enquêteurs. Et on se retrouve avec des non-lieux obtenus au bénéfice du doute, par manque de preuve ou de fiabilité des plaignantes, étouffement des plaintes connexes, comme dans ce roman.

Votre style est très adapté à l'histoire, le rythme utilisé épouse le récit, crée une vraie ligne de fuite. Comment l'avez-vous travaillé??

C’est un livre mental. Ce n’est pas une narration en temps réel, mais une tentative de recomposition, de relecture et d’analyse de ce qui a eu lieu dix ans plus tôt. Je souhaitais un contenu chabrolien, avec un vernis «?modianesque?». Ces deux facteurs m’ont conduit à travailler une phrase légèrement distanciée, retenue, qui accélère quand la mémoire revient par bouffées ou réminiscences traumatiques, se raidit dans le présent, se fait plus circulaire et labyrinthique dans l’analyse et la mise en question du passé. Je tente d’y laisser entrer la lumière des paysages. Mais aussi celle, plus intérieure, qui porte le narrateur à la fin du livre?: une fuite apaisée, le commencement d’autre chose.

Vous rencontrez un succès grandissant… Quelles relations nourrissez-vous avec vos lecteurs??

J’essaie aussi d’écrire à hauteur d’homme. Et d’user d’un «?je?» qui dis «?nous?». Cela instaure, avec les lecteurs une sorte de proximité. Je parle de leurs vies, de nos vies. Je suis un des leurs. Pas un «?juge?», mais un «?camarade?». Le fait d’écrire sur les classes populaires, les classes moyennes, joue beaucoup dans la réception de mes romans. Cela crée un lien quasi «?fraternel?» avec des lecteurs qui reconnaissent leur vie, leur perception, leurs interrogations.

Vos romans sont souvent adaptés au cinéma. Appréciez-vous les adaptations?? Y participez-vous??

C’est une chance pour moi. Les réalisateurs qui s’emparent de mes livres, «?sentent?» le film qu’ils pourraient en tirer, dans le fond comme dans la forme. Ils ont des personnages qui leur semblent issus de la vie réelle, auxquels ils s’identifient. Il m’arrive de collaborer avec eux dans l’écriture du scénario, mais alors je leur dis toujours?: «?Je me fiche que tu sois fidèle au livre, tout ce que je te demande, c’est d’être fidèle à ton cinéma, à tes propres obsessions.?» Jusqu’ici, j’ai toujours été heureux de ces adaptations. Mais ce n’est pas un hasard. Je n’accepte que si le travail du réalisateur m’intéresse. Et si je sens qu’il a trouvé dans mon livre la matière première qui cristallise ses interrogations intimes, sociales et esthétiques, du moment, je lui fais pleine confiance.


La Renverse d’Olivier Adam, Flammarion, 2016, 267 p.
 
 
D.R.
« Je pars de l’humain pour travailler le social ou d’un fait social pour sonder l’intime. » « Lire nous élargit, ajoute de la vie à la vie. »
 
2020-04 / NUMÉRO 166