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Rencontre
Nostalgique Nothomb
Nouveau roman. Nouvel enthousiasme des lecteurs. Nouvelle Nothomb?? De retour du Japon, le pays de son enfance. Elle a mûri. Son   écriture aussi.

Par Laurent BORDERIE
2013 - 08
À chaque rentrée littéraire répond la livraison d’un nouveau roman d’Amélie Nothomb. L’écrivaine est comme le vin, à chaque récolte elle surprend toujours, déçoit quelquefois ou initie un nouvel enthousiasme. Cette année, elle livre un roman singulier dans lequel tous les quarantenaires risquent se retrouver au fil d’un chapitre, d’une phrase, d’une sensation. L’art d’Amélie Nothomb repose tout entier là?: elle sait poser les mots les plus justes sur une émotion personnelle qu’elle rend immédiatement universelle. Dans La Nostalgie heureuse, l’écrivaine écrit l’histoire de son dernier voyage au Japon. Depuis longtemps elle n’était pas revenue dans ce pays qu’elle affectionne et n’avait semble-t-il plus l’intention d’y retourner. À la faveur du tournage de l’émission Empreintes  qui lui est consacrée et qui est diffusée sur France 5, Amélie Nothomb revient sur les pas de son enfance, dans ce pays qui lui a donné le jour. Elle est pétrie d’appréhension à l’idée de retrouver ceux qui l’ont rencontrée durant ses jeunes années, sa nounou, mais surtout Rinri, son ancien amoureux  japonais dont elle avait raconté l’histoire dans le roman Ni d’Ève ni d’Adam. Comment se déroulera ce voyage dans ce pays qu’elle affectionne, mais dont elle a dressé au fil de son œuvre un portrait sans concession?? Lors de ces quelques jours de voyage, Amélie Nothomb s’interroge sur la réalité de son existence et en cherche des preuves. Dans ce portrait plus intime que jamais, l’écrivaine tend un miroir à ses lecteurs. Elle fait œuvre d’archéologue de sa propre mémoire et de ses souvenirs et rend universelles les sensations qui en découlent. 

Sur la couverture de votre livre, il est écrit roman, cela surprend lorsque l’on le lit, il  ressemble davantage à un récit.

Ma définition repose sur l’étymologie du mot roman qui traite de tout ce qui est écrit en langue vulgaire. Le roman c’est la liberté, je suis libre, je peux relater un récit et procéder comme je l’entends à des digressions, dans mes romans, je ne fais que ce que je veux.

Vous expliquez très rapidement le choix de votre titre, La nostalgie heureuse, qui est ressentie en Occident comme un oxymore?; c’est différent au Japon??

En France, la nostalgie est mal vue. On estime que la nostalgie est passéiste. Pour moi, c’est un sentiment qui apporte du bonheur, rassure, donne envie de croire à l’avenir. En japonais, le mot qui signifie la nostalgie exprime un «?bon souvenir qui revient?» et  n’a donc rien de triste ou de conservateur.  Pour moi, la nostalgie est justement quelque chose d’heureux. J’utilisais ce mot dans le sens japonais, sans savoir tout ce qu’il peut comporter de péjoratif en français. Cette nostalgie heureuse, comme je l’ai écrit dans ce roman, je l’ai éprouvée lors de ce voyage. 

Vous ouvrez votre roman en écrivant?: «?Tout ce que l’on aime devient une fiction. L’invention vient d’une petite musique laissée dans la poitrine parce que l’on a vécu.?»

Je souffre d’une vraie pathologie, j’ai le sentiment de ne pas exister. J’ai beau me toucher, me pincer, je vis avec cette sensation de n’être rien, d’être invisible. Je suis toujours étonnée que l’on me parle, surprise que l’on me voie. Aussi, l’idée d’aller au Japon pour revenir sur mon passé m’a séduite. Je me suis dit qu’il devait bien y avoir des preuves là-bas que j’avais existé. Des gens m’ont vue comme ma nounou, comme Rinri, mon amoureux éconduit, je suis donc partie à l’assaut des preuves de mon existence. Mais j’avoue aussi que c’était certainement risqué. 

Comment peut-on dire ou penser cela, surtout vous, vous publiez un livre par an, vous vendez des centaines de milliers d’exemplaires, vous rencontrez vos lecteurs??
 
C’est une question essentielle pour moi. L’éducation, la douleur, le corset social, l’ivresse donnent le sentiment d’exister, mais tout cela est précaire. À mon âge, que l’on peut considérer la moitié d’une vie, il est nécessaire de se poser de telles questions. Ce livre pourrait être considéré comme un testament, mais il est forcément précaire, c’est un témoignage de ma vie passée accompagné d’un retour sur moi-même. 

Vous écrivez?: «?Si le temps mesure quelque chose chez un être humain, ce sont les blessures.?» 

Je crois que j’ai reçu mon quota de blessures, je peux même assurer qu’elles sont les seules à prouver que nous sommes vivants?; il y a les joies aussi, mais elles sont plus légères. Les blessures nous forment, elles nous permettent de nous dépasser, de survivre aussi, c’est en cela qu’elles sont essentielles. 

Vous avez assis votre réputation sur votre double identité belgo-japonaise, qu’en est-il aujourd’hui??

Le Japon me rassure, me recharge et me réinjecte de l’énergie qui me permet de me reconstruire. Je vis une histoire d’amour avec ce pays. Je ne suis pas allée prouver que j’étais japonaise. J’avais déjà subi deux échecs avec ce pays que j’ai racontés dans Stupeurs et tremblements et Ni d’Ève ni d’Adam.  L’amour profond que j’ai pour le Japon est absolu. Lorsque je suis arrivée en Belgique à l’âge de 17 ans, je me suis sentie totalement étrangère. J’ai découvert récemment que j’étais peut-être une fausse Japonaise et une vraie Belge. Mon attachement à la Belgique m’est venu à la suite de la grave crise gouvernementale que le pays a traversée. Durant près d’un an, il a été impossible de créer un gouvernement. Je me suis rendue compte que la Belgique était à la fois floue, fragile, problématique, et que c’était exactement ce que je suis.

Lors de votre rencontre avec Rinri vous lui dites?: «?Tu as lu mes livres, tu sais tout de moi.?» 

J’utilise la fiction pour tout dire sur moi, mais comme j’ai peur d’être reconnue, je crée des personnages fictifs. J’use avec plaisir de l’art du saupoudrage.  Je fais des choses qui peuvent paraître folles dans la vraie vie, et comme je ne veux pas les avouer dans un vrai récit, je les fais endosser à mes héroïnes.

Lors de votre voyage de retour, vous promettez à la chaîne himalayenne que vous survolez de ne plus jamais être malheureuse. 

C’est un serment d’ivrogne, il faut se méfier des gens qui ont changé, des gens qui vont mieux. Bien sûr c’est indispensable de penser que cela est possible, mais s’il y a une chose qui est certaine, c’est que ce voyage m’a donné de l’énergie. Mais c’est vrai, c’est certainement dans ce voyage que j’ai éprouvé cette fameuse Nostalgie heureuse. Comme je l’écris à la toute fin du roman, il faut partir en voyage, quitte à ce que la destination soit inconnue.

Vous recevez ici, dans votre maison d’édition, vous possédez votre propre bureau, recevez des centaines, des milliers de lettres auxquelles vous répondez. Comment ne seriez-vous pas vivante?? 

Rien ne me fait mériter d’avoir un bureau ici. Je n’ai aucune responsabilité éditoriale, je n’appartiens pas à l’organigramme de l’entreprise, je suis juste un auteur, comme d’autres. Mais je ne suis pas capable d’écrire un roman et mon courrier dans le même lieu. Mes romans sont écrits à la maison, il fallait que je trouve une solution pour mon courrier. Mes pas, dès le début, m’ont dirigée chez mon éditeur. Pendant cinq ans, je m’installais dans un escalier, sur une chaise vide dans l’entrée, dans les toilettes aussi. J’éprouvais un vrai besoin de répondre à mon courrier ici. Et puis un jour, sans que je développe une réelle stratégie, l’une des attachées de presse est partie en congé maternité, je me suis retrouvée dans son bureau. Je l’occupe désormais tous les matins, je suis bien pour répondre à un courrier qui m’assure que je suis peut-être bien vivante, mais rien n’est simple.



 
 
D.R.
« Il faut partir en voyage, quitte à ce que la destination soit inconnue. »
 
BIBLIOGRAPHIE
La Nostalgie heureuse de Amélie Nothomb, Albin Michel, 152 p.
 
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