FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Rencontre
Les Romanov, dynastie rouge sang
En 1613, les Romanov ont été portés sur le trône de Russie à l’issue de siècles tragiques où le pouvoir a été transmis ou conquis par le meurtre. Jusqu'en 1917, ils ont gouverné un vaste empire, mais le sang n’a cessé de couler au pied du trône. Un essai édifiant  signé Hélène Carrère d'Encausse nous raconte le destin de cette dynastie.

Par Fifi ABOU DIB
2013 - 07
ui sont les Romanov ? Les quinze souverains dont trois femmes, qui ont gouverné la Russie trois siècles durant, de 1613 à 1917, en ont fait, presque toujours au prix du sang, non seulement le pays le plus étendu du monde, mais également une très grande puissance européenne puis mondiale. Du fondateur Michel Ier au dernier tsar Nicolas II, ils ont eu le courage, la volonté, la foi et la persévérance autant que l’intelligence et la finesse nécessaires à l’accomplissement de l’immense tâche qui consistait à réunir et maintenir sous une même bannière une vaste population de cultures, religions et ethnies différentes.

Une fois de plus, l’historienne Hélène Carrère d’Encausse, grande spécialiste de la Russie, secrétaire perpétuelle de l’Académie française et, par ailleurs, membre du conseil stratégique de l’Université Saint-Joseph, se penche sur le cas d’école que présente cette dynastie à l’extraordinaire longévité et au destin marqué par les tragédies.

Vous êtes d’origine russe, née dans une famille d’aristocrates géorgiens qui a émigré en France et essaimé un peu partout en Europe après la révolution. Parmi vos ancêtres, on compte autant de serviteurs de l’empire que de régicides. D’une manière générale, vous situez-vous plutôt du côté du pouvoir ou du côté de la révolution ?

Je suis d’origine russe, géorgienne, allemande, suédoise et italienne. Le russe est ma langue et ma culture secondes. Mes ancêtres russes ont joué un grand rôle, mais je ne me situe d’aucun côté. Cependant, pour moi, la révolution russe a été un désastre.

L’ensemble de votre production littéraire et de vos études historiques tourne autour de l’empire russe, de l’Union soviétique et de la Russie. Quels sont les principaux messages qu’il vous tient à cœur de faire parvenir sur ce continent – que peu connaissent comme vous en profondeur – à travers cette somme d’études ?

Il est exact que j’ai consacré mes ouvrages à la Russie, grand pays d’Europe que les invasions ont coupé de l’Europe à plusieurs reprises, notamment l’invasion mongole qui a duré trois siècles et le communisme qui a duré 75 ans. Ce n’est qu’après cela que la Russie a rejoint l’Europe. L’Europe ne pourra pas s’épanouir et participer à la création du monde moderne si elle oublie que la Russie est une de ses composantes.

Vous avez déjà écrit les biographies de Catherine II et Alexandre II. Que vient ajouter aujourd’hui à cette série la biographie des Romanov en tant que famille ?

Mon livre est l’histoire d’une dynastie, pas le livre de la famille. Il parle du pouvoir, c’est un ouvrage de sciences politiques.

Trouve-t-on dans votre livre des souvenirs et des légendes familiales qui permettraient d’intégrer votre histoire personnelle à l’histoire collective ?
 
Non, il n’y a aucune raison d’intégrer mon histoire personnelle à l’histoire collective éblouissante qui se suffit à elle-même.

Quel est le membre de la famille Romanov qui vous inspire le plus de sympathie ?

Je ne me suis pas penchée sur les membres de la famille Romanov mais sur une dynastie de 15 souverains intéressants à quelque titre. Les trois plus grands sont à mes yeux Pierre le grand, Catherine et Alexandre II. Le plus pathétique est Nicolas II. Les plus curieux sont probablement les premiers, Michel et Alexis. 

Quel est celui qui n’aurait pas dû exister ?

Aucun

Qu’est-ce qui, à votre avis, a permis aux Romanov de se maintenir trois siècles à la tête de l’empire russe ?

Si les Romanov ont tenu pendant trois siècles le pouvoir en Russie, c’est qu’ils ont été capables de développer dans ce pays immense, le plus grand État du monde par son territoire, un système de gouvernance apte à gérer ce territoire et ses populations diverses. Ils ont su transformer le petit État initial en un immense empire et offrir un cadre à l’épanouissement d’une culture éblouissante qui a considérablement enrichi l’Europe. 

Quelle a été l’erreur qui a conduit à leur élimination définitive dans les circonstances tragiques que l’on sait ?

Leur participation à la Première Guerre mondiale qui a permis à la France de ne pas être écrasée, mais a conduit l’Allemagne à jouer la carte de la révolution en Russie pour se débarrasser d’un adversaire redoutable. Lénine a pu l’emporter grâce au soutien politique et financier de l’Allemagne, ce qui a permis la révolution communiste. 

Quels ont été leurs apports à la Russie qu’ils ont gouvernée, et quel héritage laissent-ils à la Russie d’aujourd’hui ?

Un territoire immense, une population hautement éduquée, une société qui n’a cessé de se développer et la passion de la culture. 

Dans quelles veines coule aujourd’hui le sang des Romanov ?

À lire le livre, on comprend que le sang des Romanov ne coule plus dans aucune veine et que depuis le XVIIIe siècle, ce sont les princes et les princesses allemands qui ont façonné les Romanov.

Sommes-nous aujourd’hui au cœur d’une nouvelle guerre froide où les USA règneraient sur la partie occidentale du monde et la Russie sur la partie orientale ?

Non. La notion de guerre froide est dépassée. Le monde entier a basculé vers l’Asie et vers l’Orient, et ni les USA ni la Russie ne sont plus les seuls acteurs du jeu mondial. 

La Russie laïque de Poutine peut-elle avoir une influence profonde sur les pays islamiques dont elle est aujourd’hui le recours ?

La Russie de Poutine ne peut se définir comme laïque. Certes, l’État est séparé de l’Église, mais la notion de laïcité n’a pas beaucoup de sens dans un pays dont les habitants retrouvent un sentiment de curiosité religieuse car ils cherchent des repères. Ni surtout dans un pays qui compte une considérable communauté musulmane et des peuples appartenant à des communautés non chrétiennes dont l’identité est généralement liée à leur confession. La Russie elle-même trouve dans le christianisme une part de son identité. Poutine dit à juste titre que la Russie est un pays musulman et fait partie du monde musulman tout autant que du monde asiatique. Ce qui explique les liens particuliers de ce pays avec l’Asie et le monde de l’Islam.




 
 
© Romanov Collection, General Collection, Beineck
 
BIBLIOGRAPHIE
Les Romanov, une dynastie sous le règne du sang de Hélène Carrère d’Encausse, Fayard, 2013, 442 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166