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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Rencontre
Bernard Pivot : un roman en point d’interrogation ?


Par Georgia Makhlouf
2012 - 11
Il y a une part d’autobiographie dans son dernier livre certes, mais Bernard Pivot prend quand même un malin plaisir à brouiller les pistes, et il s’amuse du trouble dans lequel il installe par moments son lecteur « amène et attentif », ne serait-ce qu’en multipliant les points d’interrogation jusque sur la quatrième de couverture qui s’interroge : « Bernard Pivot a-t-il écrit un roman ou son autobiographie ? »

Adam Hitch est un journaliste dont la vie privée est ravagée par son addiction aux questions. Le questionnement grâce auquel il a formidablement réussi dans sa vie professionnelle a envahi sa vie sentimentale, et il souffre de « questionnite » aiguë. « Ça me prenait à l’estomac, ça me  remontait à la tête, et j’éprouvais alors une irrésistible envie de savoir. Quoi ? Le pourquoi et le comment, les tenants et les aboutissants, le pour et le contre, le dessus et les dessous, les dits et les non-dits. Pour satisfaire ma curiosité, ce stimulant naturel, je posais des questions. » En état de perpétuelle curiosité, en manque quasi permanent, il bombarde son entourage de questions car il est persuadé que toute personne détient de grands et de petits secrets qu’elle peut être amenée à avouer si l’on s’y prend habilement. Le plus souvent cependant, Hitch provoque des impairs sinon des drames, et sa vie calamiteuse est jalonnée de ruptures.

Au-delà de la fable, Pivot mène une réflexion sur ce qu’a été son métier, sur l’importance de la curiosité et sur le rôle majeur de l’interrogation comme moteur de la connaissance. Car l’auteur a la conviction que la question, c’est la vie, que fuir une question, c’est renoncer à la lumière, que l’on devient vieux à partir du moment où l’on n’a que des réponses et plus de questions. « (La question) est partout. Elle foisonne, elle pullule. Elle s’insinue ou elle s’intronise. Elle dérange ou elle est attendue. Elle inquiète ou elle rassure. Elle est directe ou elle est emberlificotée. De toute façon, elle est inévitable. Nécessaire et omniprésente. »

Revenant sur l’art d’interroger qui a été au cœur de son parcours, il oppose le pouvoir de l’intervieweur au prestige de l’interviewé. « Interviewer, c’est (…) avoir l’initiative des mots. C’est bénéficier des privilèges du terrain et de l’offensive. Il y a du pouvoir dans cette position du premier qui parle. » À l’inverse, « celui qui répond a le prestige. Il est questionné parce qu’il détient un savoir qu’il va transmettre. C’est lui que l’on lit ou que l’on écoute, c’est pour lui que l’on est attentif ». Mais poser des questions comporte aussi sa part de risque, celui par exemple de récolter des mensonges. « Je suis mathématiquement l’un des Français auxquels on a le plus menti », écrit-il. L’auteur avoue aussi que l’une des raisons pour lesquelles il n’aime pas être questionné ni interviewé tient dans son respect pour les questions qui lui interdit de « répondre par des craques ». « Je suis moralement dans l’obligation de dire la vérité, poursuit-il, et ce n’est pas toujours confortable. »

Au dernier chapitre, Adam Hitch a soixante ans et il a rencontré la deuxième Manon de sa vie (la relation avec la première s’était rapidement achevée sur un désastre). Il forme avec elle un couple soudé et harmonieux, et curieusement, il a de moins en moins envie de poser des questions, comme si Manon lui retirait les questions de la bouche. Leur dialogue final s’achève sur une dernière réponse d’Adam : « Je ne me pose même pas la question. » Le bonheur signifierait-il donc la fin de la curiosité ? 

 
Bernard Pivot au Salon
☛ Annonce de la 3ème sélection de l’Académie Goncourt et évocation des 4 livres en lice pour le Prix : le 30 octobre à 17h (Agora)
☛ Lancement de la dictée qui aura lieu le dimanche 4 novembre : le 31 octobre à 16h45 (stand Clairefontaine)
☛ Conférence « Le vin se livre » : le 31 octobre à 18h (Agora) 
 
 
 
D.R.
« Il y a du pouvoir dans cette position du premier qui parle »
 
BIBLIOGRAPHIE
Oui, mais quelle est la question ? de Bernard Pivot, Nil éditions, 272 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166