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Rencontre
Qantara, une fenêtre parisienne sur les cultures arabes
Au Liban, peu d’adeptes de culture et de publications culturelles connaissent Qantara. Pourtant, cette revue parisienne et francophone spécialisée dans les cultures arabes, mérite le détour. Rencontre avec son rédacteur en chef, François Zabbal

Par Mahmoud HARB
2011 - 06
Depuis bientôt vingt ans, l’Institut du monde arabe (IMA), phare parisien des cultures arabes, publie à un rythme trimestriel la revue culturelle Qantara. Spécialisée dans le monde arabe, cette publication aborde la culture au sens large du terme. Évoquant tant l’histoire que le cinéma, la littérature que l’architecture, la gastronomie que le théâtre, la revue offre un regard sobre mais non moins pittoresque sur les multiples facettes des cultures arabes. Ainsi, au fil des pages de sa dernière édition datée de ce magnifique printemps 2011, on rencontre des personnages aussi singuliers que distants dans le temps que la chanteuse marocaine contemporaine Sophia Charaï et le baron Rodolphe d’Erlanger, esthète et musicologue de la première moitié du siècle révolu et bâtisseur d’une sublime demeure à Sidi Bou Saïd, petit village de Tunisie. Dans les pages de ce même numéro, on se penche également sur le réveil démocratique du monde arabe – bien que le magazine s’abstienne de se plonger dans les méandres de la politique – ainsi que sur « les heurs et malheurs du théâtre arabe ». On y découvre également, outre une multitude de livres et de films, les chansons révoltées de l’artiste kabyle Salah Gaoua et la peinture ensoleillée du Libanais Shafic Abboud. On y visite le Kurdistan iranien avant de s’attarder, dans un dossier qui constitue le point d’orgue du numéro, sur les liens de filiations, plus au moins assumés, du monde arabe avec les civilisations antiques, notamment la période gréco-romaine.
 
Reste à noter que malgré son titre aux relents tradionalistes, Qantara signifiant « arcade » en langue arabe, la revue est loin d’être étrangère à la modernité, tant au niveau de sa forme que de son contenu. Qantara évoque en effet de nombreux sujets et œuvres culturels contemporains et, en véritable publication du XXIe siècle, consacre une page entière à l’actualité des sites Internet. La toile sert d’ailleurs de vecteur de distribution de la revue qui est disponible en format électronique tout comme en version papier. Un double format que permet la mise en page dynamique de la revue.

À la veille de la parution cet été du 80e numéro de Qantara qui marquera le vingtième anniversaire de la revue, L’Orient Littéraire a interrogé son rédacteur en chef, François Zabbal, autour de sa vision de la publication de l’IMA et du rôle qu’elle est susceptible de jouer sur la scène culturelle française et méditerranéenne.

À qui s’adresse Qantara ?

Qantara est une revue de culture générale consacrée au monde arabe, mais qui n’hésite pas à le déborder en traitant de la Turquie ou de l’Iran. Dès le départ, notre publication a visé le public français. Il ne pouvait en être autrement en réalité. Non seulement parce que la première équipe de rédaction (1991-1995) n’était pas imprégnée de culture arabe, mais parce que c’était un choix cohérent avec la mission de l’Institut du monde arabe qui porte et abrite la revue.
Cela étant dit, il y a eu la tentation de dédoubler la revue avec une version arabe. Cette solution ne me paraît pas viable, et je serais partisan d’une compilation annuelle dans un seul volume d’articles qui passent la rampe de la translation d’une langue à l’autre. Car écrire en arabe pour un public arabe n’est pas une simple question technique.

Réussissez-vous à attirer l’attention des jeunes issus de l’immigration ?

Ce n’était pas notre cible, mais avec le temps, notre lectorat s’est élargi pour englober des jeunes issus de l’immigration, notamment les étudiants en lettres ou en sciences humaines. Il s’agit souvent de la deuxième/troisième génération qui veut découvrir ce qu’elle croit être son patrimoine et son histoire, parfois tout simplement pour en tirer fierté.
Cependant, dès le début, le public maghrébin cultivé s’est intéressé à la revue autant qu’aux diverses manifestations de l’IMA. Mais dans l’ensemble, notre lectorat se recrute dans le milieu de l’enseignement, y compris les centres de documentation, et des professions libérales, tels les médecins.

Avez-vous des lecteurs en dehors des frontières de l’Hexagone ?

À l’étranger, hors les abonnements épars dans divers pays d’Europe et d’ailleurs, dont le Japon, notre public le plus constant se trouve au Maghreb, et plus précisément au Maroc et en Tunisie, la diffusion de la presse française présentant des difficultés en Algérie.
Au Moyen-Orient, le Liban francophone n’importe qu’une trentaine d’exemplaires, même lorsque le thème peut intéresser particulièrement le public libanais. En Égypte, le niveau de nos ventes est également bas.

Quelle est la vocation de Qantara ?

Je parlerais plutôt de ligne éditoriale. La difficulté pour une revue comme Qantara est de trouver sa voie en évitant deux tentations. La première serait de s’inscrire entièrement dans la lutte pour l’intégration des populations immigrées. C’est un choix tout à fait respectable, mais il y a quantité de revues qui le font, et qui le font bien. La deuxième tentation est celle de l’exotisme : présenter le monde arabe sous des dehors séduisants. Pour faire bref, permettez-moi de vous raconter une anecdote : dans notre rubrique « Nouvelles d’ailleurs », nous rapportons des événements banals tels qu’un festival, ou, hélas ordinaire, la censure d’un livre. Un jour, une lectrice prend sa plume pour protester vigoureusement contre la mention trop fréquente de pareils faits. Elle n’achetait pas le magazine, écrivit-elle, pour lire ce genre d’informations. Il se trouve que le numéro incriminé évoquait l’opposition persistante des autorités égyptiennes à la publication des Enfants de la médina de Naguib Mahfouz. À quel titre devait-on passer sous silence la censure d’un livre écrit par le seul Prix Nobel arabe de littérature ?

En quoi votre magazine contribue-t-il au dialogue entre les cultures des différentes rives de la Méditerranée ?

Les cultures ne dialoguent pas ! Régis Debray vient seulement de le découvrir au terme de la mission de dialogues au Moyen-Orient. Ce sont les individus et les sociétés qui échangent, qui empruntent et qui... pillent sans vergogne des idées, des techniques, des biens, ou, à l’inverse, les préservent. Contribuer au rapprochement entre les peuples des deux rives de la Méditerranée : oui ! C’est un objectif noble. Pour cela, il faut montrer à la fois les similitudes, les rapprochements, les emprunts, mais aussi les rivalités, les conflits sanglants ou non. C’est pourquoi nous avons consacré un numéro pour expliquer le divorce entre l’Iran et les Arabes, et un autre pour éclairer la rupture entre Turcs et Arabes.

Pourquoi avez-vous choisi de vous abstenir d’évoquer tout sujet politique ?

Il faut arrêter de croire que la culture a besoin de la politique pour tenir debout, et aussi et surtout qu’il suffit d’afficher des opinions de gauche pour produire une œuvre valable. La gauche ne manque pas de fieffés réactionnaires et de racistes !
La culture doit être prise au sérieux pour ce qu’elle comporte en soi de potentiel subversif. C’est une tâche immense que de bousculer les idées reçues, sans avoir à y ajouter des ingrédients politiques.


 
 
D.R.
« Les cultures ne dialoguent pas ! Ce sont les individus et les sociétés qui échangent »
 
2020-04 / NUMÉRO 166