FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
Rencontre
Denise Ammoun, les Arabes et la paix
Journaliste, grand reporter, correspondante au Caire de la Croix et du Point, Denise Ammoun est l'auteur d'une Histoire du Liban contemporain et d'un récent ouvrage : Les Arabes et la paix, Entre guerre et diplomatie 1977-2010.

Par Lamia EL-SAAD
2011 - 03

Des Arabes et la paix. Le titre peut faire sourire, au regard des nombreuses guerres qui ont déchiré – et qui déchirent encore – le Moyen-Orient… Pourtant, vous insistez sur le fait que les Arabes n’en sont pas pleinement responsables… C’est même la thèse que vous défendez.

Ce titre a une signification précise. Il se propose de décrire les négociations arabo-israéliennes qui ont pour point de départ le « voyage historique » de Sadate à Jérusalem. Le livre débute en 1977, à une époque où les canons ne règlent plus le sort de la région. Les conflits qui déchirent aujourd’hui l’Irak sont les conséquences de la 3e guerre du Golfe, et ne concernent pas la confrontation militaire entre Arabes et Israéliens. Il y a malheureusement la tragique situation de Gaza, mais ce n’est pas une guerre qui oppose des armées arabes à Tsahal. De plus, les Gazaouis n’auraient pas vécu tous ces malheurs si l’État hébreu avait respecté l’accord d’Oslo.

Vous ne manquez pas de mentionner l’influence, souvent décisive, des États-Unis et de l’URSS (puis de la Russie). Vue sous cet angle, ne peut-on y voir un prolongement de la guerre froide ?

Dans ce cas précis, celui des démarches destinées à soutenir les « revendications légitimes » du peuple palestinien, les États-Unis et l’URSS poursuivaient le même but. Lors de la conférence de Madrid, les présidents George Bush et Mikhaël Gorbatchev, dont les pays étaient les parrains de la conférence, ont parfaitement accordé leurs violons. La veille de la rencontre, ils se sont réunis pour définir la marche à suivre. Le lendemain matin, à la tribune, Gorbatchev a souligné que « cette conférence a été possible grâce à la fin de la guerre froide, et à l’évolution des relations soviéto-américaines ».

De l’Égypte à la Palestine en passant par le Liban, le véritable épicentre – et incontournable nœud gordien – de cet ouvrage demeure le problème israélo-palestinien.

Disons plutôt le problème palestinien. Aussi longtemps qu’Israël refusera d’appliquer les résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité, et continuera à ronger le territoire palestinien, à ne pas négocier la création du nouvel État, ses frontières, Jérusalem-Est, le retour des réfugiés… aucune paix régionale ne sera possible.

Croyez-vous à la thèse de l’empoisonnement de Arafat ?

Ma conviction personnelle n’entre pas en ligne de compte. Mais la thèse de l’empoisonnement de Yasser Arafat m’a été certifiée par de nombreux dirigeants palestiniens. Il me suffit de citer l’ambassadeur Mohammed Sobeih, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe pour les affaires de Palestine.

Vous insistez tout particulièrement sur les moments où la paix était à portée de main… sur les occasions manquées…

Les occasions manquées sont nombreuses, à commencer par le respect de l’accord d’Oslo. Il a ses défauts et ses faiblesses, mais il devait déboucher, sans aucun doute, sur la création d’un État palestinien, même si le terme « État » n’était pas cité dans le texte. À l’étape finale, il s’agissait de négocier les frontières, la question de Jérusalem-Est, le retour des réfugiés… Yitzhak Rabin était décidé à appliquer cet accord. Les dirigeants palestiniens certifient qu’il voulait signer la paix avec ce futur État. D’où son assassinat le 4 novembre 1995 par un extrémiste israélien. Il m’est impossible de multiplier les exemples. Mais je voudrais rappeler qu’au sommet arabe de Beyrouth, en 2002, les dirigeants radicaux et modérés ont proposé à Israël « l’échange de la terre contre la paix ». C’était une occasion unique de mettre un terme au conflit israélo-arabe. Mais Israël n’a pas accepté.


Vous soulignez, citant l’exemple de Sadate et de Rabin, que les artisans de paix sont justement ceux qu’on assassine… Dans ces conditions, peut-on raisonnablement espérer une paix au Moyen-Orient ?

J’espère que les temps ont changé. Il est sans doute possible d’œuvrer pour une paix au Proche-Orient sans risquer d’être assassiné. Je vous rappelle les négociations indirectes entre Israël et la Syrie sous l’égide de la Turquie

Vous qui connaissez de très près la société égyptienne, comment envisagez-vous le dénouement des événements actuels et l’avenir de ce pays ?

Il y a déjà un dénouement inattendu et spectaculaire : la démission de Hosni Moubarak. Le pouvoir en Égypte est aujourd’hui entre les mains de l’armée, et la période de transition, fixée à six mois, évolue rapidement. Le Conseil suprême des forces armées a déjà confié l’amendement de la Constitution à dix juristes. Il a décidé de dissoudre le Parlement et le Sénat. Un référendum permettra au peuple de se prononcer au sujet de l’amendement constitutionnel. Par la suite, les élections législatives, puis présidentielle, auront lieu… Nous assistons, je l’espère, à la naissance d’une nouvelle Égypte, un pays où soufflera le vent de la liberté et de la démocratie.

Le monde arabe bouge… Ces révolutions qui le bouleversent actuellement étaient-elles prévisibles ? Quels sont les signes avant-coureurs que nous n’avons pas su interpréter ?

Ces révolutions étaient prévisibles. Je dirais plutôt que les anciens dirigeants tunisiens, égyptiens, ou autres ont refusé d’en interpréter les signes avant-coureurs. Pour m’en tenir au cas de l’Égypte, les responsables savaient très bien que 40 % de la population vivait à moins de 2 dollars par jour, soit au seuil de la misère. Il fallait prendre des mesures contre l’inflation, le chômage, la misère… Il fallait surtout mettre terme à une corruption inimaginable, et diriger le pays vers une démocratie réelle et non pas simulée.

Est-il justifié de craindre une forte montée des extrémistes ?

Je ne le crois pas. La révolution égyptienne, qui s’est accomplie d’une façon pacifique, démontre que l’extrémisme n’est pas le seul moyen de modifier le mode de vie, et de gouvernement, d’un pays.

Quelles pourraient être les répercussions de tout cela sur le problème israélo-palestinien ?

Les dirigeants israéliens ont intérêt à comprendre que les nouveaux responsables arabes pourraient se montrer beaucoup plus rigoureux à leur égard. La gamme des sanctions, susceptible de servir les Palestiniens, est vaste. Israël a sans doute intérêt à prendre le chemin de la paix avec les Palestiniens.

 
 
D.R.
La révolution égyptienne pacifique démontre que l’extrémisme n’est pas le seul moyen de modifier le mode de vie et de gouvernement, d’un pays.
 
BIBLIOGRAPHIE
Les Arabes et la paix, Entre guerre et diplomatie 1977-2010 de Denise Ammoun, Fayard, 2010, 305 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166