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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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La guerre de juillet dans les livres
Le malheur qui a frappé le Liban en juillet dernier a fait couler beaucoup d’encre. Dans la pléthore de livres publiés sur le sujet, comment séparer le bon grain de l’ivraie?? Lectures choisies, entre propagande et analyse d'une réalité complexe.

Par Jabbour DOUAIHY
2007 - 03
Il s’en publie tellement que les libraires en font déjà tout un rayon : des chronologies agrémentées de photos en couleurs et d’éditoriaux de guerre, avec des titres révélateurs, La victoire ensanglantée  (titre trouvaille pour Talal Salman qui doit allier triomphalisme et réalisme), publiée par le quotidien as-Safir, ou, plus anodin,  Le Sud 2006, parue chez Dar an-Nahar, avec reproductions des premières pages du journal et des commentaires éclairés de son patron, Ghassan Tueni (les éditions an-Nahar rééditent d'ailleurs l’ouvrage-référence de Waddah Charara, L’État-Hezbollah, enrichi d’un nouveau chapitre de l’auteur consacré à la dernière guerre), Daily events of war on Lebanon (Naufal Group), 33 jours de feu, La guerre contre le Liban, début ou fin?? (publié par la revue historique arabe, Tarikh al’arab wal’alam), ou enfin, en plus engagé, La promesse tenue (al-wa’d al sadiq), journal de la sixième guerre, paru chez Dar el-Amir?; trois ou quatre bilans rapides?: La victoire difficile, de Mohammad Khawaja (avec préface de Nabih Berry) aux éditions Bissan, puis en bien moins hésitant, La guerre légendaire entre le Hezbollah et l’entité sioniste, de Jaafar Attar (éditions al-Khalij), ou à prétention plus objective, L’agression israélienne contre le Liban, arrière-plan et perspectives, de Khalil Hussein (Dar al-Manhal al-lubnani), sans compter un essai sur la confrontation «?psychologique?» entre Israël et le Hezbollah, une revue des principaux articles de presse israéliens sur la guerre de l’été (Institut d’études palestiniennes), deux biographies de Hassan Nasrallah, la première parue chez al-Maktaba al-haditha, et la deuxième, intitulée ?Un révolutionnaire du Sud? (Tha’ir mina al jounoub) de Rifaat Sayyed Ahmad (Dar al-Kitab al-lubnani), en plus d’une?encyclopédie? hagiographique en trois tomes parue chez Dar el-Fajr, et consacrée à «?l’homme qui incarne toute une nation, oumma?», lui «?qui porte le turban du messager d’Allah, s’enveloppe de la abaya de Ali et dégaine l’épée de Hussein?»… 

Entre petites historiographies et littérature propagandiste souvent (pré) payée, à usage de mobilisation interne, l’heure n’est pas au bilan mais à la célébration. Le seul usage permis de la remise en question, actuellement en cours au sud de la Porte de Fatima où elle a déjà fait des victimes parmi les responsables israéliens de la guerre, c’est de la ranger parmi les preuves irréfutables de notre «?victoire divine?». C’est l’ennemi qui se critique, les victimes, les mustad’afin, n’ayant rien à se reprocher…

Les publications françaises

La couverture en français de la guerre de juillet n’a pas tardé non plus. Après le grand reportage du journaliste du Figaro, Renaud Girard, déjà traduit en arabe, La guerre ratée d’Israël contre le Hezbollah (Perrin), et commenté dans nos colonnes, (cf. L’Orient littéraire datée du 4 janvier 2007), deux penseurs de la gauche antiaméricaine, Gilbert Achkar et Michel Warshawski, appartenant comme ils le disent aux deux pays ennemis, le Liban et Israël, tentent dans La guerre des 33 jours, la guerre d’Israël contre le Hezbollah et ses conséquences (Textuel) de confirmer, des deux côtés des «?frontières les plus brûlantes?», que la «?sixième guerre?» de l’été passé n’était, en fait, qu’un épisode dans l’interventionnisme impérialiste au Moyen-Orient, une diplomatie de cow-boy en déroute, et une «?guerre de civilisation?» menée par ceux qui se considèrent comme les habitants d’une «?villa moderne et prospère au milieu de la jungle?». Selon Achkar, tout était donc prêt pour une revanche des milieux militaires israéliens après le retrait du Liban-Sud en l’an 2000, le kidnapping des deux soldats israéliens au-delà de la ligne bleue (aucune mention de cette ligne d’ailleurs dans le pamphlet) n’étant que?le prétexte attendu… Si les raisons de la guerre sont donc limpides, le degré d’impréparation reste incompréhensible. Warshawski le met sur le compte de la défaillance des services de renseignements militaires israéliens et (règlement de comptes de la part d’un altermondialiste oblige) sur le libéralisme économique envahissant qui affaiblit l’État et laisse la population civile à son sort au nord d’Israël, surtout que les Arabes y sont en majorité… L’analyse de la situation au Liban épouse de très près les thèses du parti khomeyniste, voire de la Syrie, considérant la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l’ONU comme un «?monument d’hypocrisie?» quand elle défend la souveraineté du Liban en s’ingérant dans ses affaires intérieures (oubliant du coup que le pays du Cèdre était sous la botte baassiste) ou qualifiant le gouvernement de Fouad Siniora de simple «?collaborateur?» de Ryad. Sans parler de l’assimilation du Hezbollah à une structure «?infra-étatique?» comme le Liban en a toujours connu, gageant que le parti de Dieu jouit d’assez d’autonomie pour pouvoir prendre ses distances par rapport à la République islamique à Téhéran. Entre l’«?erreur de calcul?» avouée par Nasrallah et l’obligation du Hezbollah de «?faire des concessions pour faciliter la fin de la guerre?», la population libanaise étant toute entière prise en otage par Israël, la guerre des 33 jours n’en reste pas moins, au regard des auteurs, une victoire qui a «?déjà compensé dans l’imaginaire arabe l’humiliation de la guerre des Six-Jours?»… Achkar et Warshawski semblent d’ailleurs entièrement convaincus qu’il y aura une «?deuxième manche?» au Liban-Sud. Ils précisent même le délai de cette attaque vengeresse, deux ans à peine, le temps d’une réorganisation israélienne, à moins que les pressions américaines n’en rapprochent encore plus l’échéance…
Un autre écrivain de gauche, Uri Avnery, premier Israélien à avoir pris contact, en 1974, avec des responsables palestiniens de l’OLP, vient de publier, sous le titre Guerre du Liban. Un Israélien accuse (L’Harmattan), qui réunit une série d’articles écrits à raison de deux par semaine pendant la guerre et interroge la politique belliqueuse de l’État hébreu qui a mené une expédition dévastatrice contre le Liban sans pour autant atteindre les résultats affichés. Reste une interrogation de taille?devant ce vieux militant de la paix avec les Palestiniens : pourquoi et comment même les milieux de?gauche en Israël ont-ils  apporté leur soutien à cette entreprise destructrice?? 

Une approche plurielle et équilibrée

La seule contribution instructive reste jusqu'à ce jour l’ouvrage collectif publié sous la direction de Franck Mermier et Élisabeth Picard, Liban une guerre de 33 jours (La Découverte) et auquel ont participé des auteurs et des chercheurs français et libanais. Dans le but d’«?éclairer le lecteur sur les enjeux multidimensionnels?» de cette guerre, l’ouvrage propose, dans une trentaine d’articles signés par les meilleurs spécialistes, une lecture à plusieurs niveaux. Un état des lieux d’abord, pour mesurer l’ampleur des destructions sur l’infrastructure et la catastrophe environnementale frappant une économie déjà fragile, malgré ses quelques atouts, pour passer ensuite à deux gros plans sur Haret-Hreik dans la banlieue sud et la ville de Baalbeck afin de mesurer l’ampleur des dégâts et de constater que la tactique destructrice israélienne n’a fait que resserrer les liens entre le Hezbollah et les victimes de la dernière guerre, souligner le vaste mouvement de résistance et de solidarité civiles ou relever la dynamique culturelle beyrouthine et la «?polarisation du champ intellectuel?» comme conséquence d’une fracture politique envenimée par la guerre de juillet.

L’échiquier libanais est surtout focalisé sur la communauté chiite, au cœur du dernier conflit, et ceci à travers l’émergence du chiisme politique dans le Liban du XXe siècle, la formation du Hezbollah en milice «?postmoderne?» avec un portrait de groupe des intellectuels chiites modernistes, passés d’un gauchisme de jeunesse et de tourmenté à un libanisme démocratique et une approche du «?martyre?» entre kerbaélisme et résistance anti-israélienne. De son côté, la communauté chrétienne, sur la défensive, semble déçue de son recul d’influence alors que les mouvements islamistes sunnites sont partagés entre l’attitude communautaire et l’engagement historique contre Israël. Les enjeux libano-israéliens semblent plus familiers avec un historique allant de l’armistice de 1949 à l’invasion israélienne de 1982 et, se prolongeant par l’occupation du Sud, le problème de l’eau et, surtout,  celui des célèbres?fermes de Chebaa, servent plus de prétextes que de causes à une confrontation aux dimensions régionales. Enfin la dernière guerre vient aussi exprimer des enjeux internationaux évidents?: d’un côté le Liban comme le meilleur «?succès?» américain dans la politique musclée de «?démocratisation?» au Moyen-Orient, malgré une divergence perceptible entre Washingon et Paris, et, de l’autre, le Hezbollah comme pièce maîtresse de la stratégie iranienne dans la région, sans oublier les tentatives syriennes de retour sur la scène libanaise et l’impuissance des pays arabes face à la guerre.

Tout en essayant de se démarquer autant que possible des «?analyses à chaud trop souvent marquées par les raccourcis et les simplifications?», l’ouvrage s’attarde aussi sur d’autres aspects (la guerre asymétrique, les violations du droit international ou le traitement médiatique de la guerre) dans une approche plurielle et équilibrée, malgré  un contexte pourri par la  polémique autour de la guerre de l’été et ses conséquences en tous genres...


 
 
© L'Orient-Le Jour
 
2020-04 / NUMÉRO 166