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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Dans l’esprit de certains, l’Unesco ne serait qu’une coquille vide. Or, cette organisation n’a jamais cessé de défendre le livre considéré comme un vecteur de culture et de paix. À l’occasion de la proclamation par l’Unesco de «?Beyrouth, capitale mondiale du livre 2009?», apparaît au grand jour la place primordiale qu’elle occupe encore dans ce domaine.

Par Katia Ghosn
2007 - 08
Née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le 6 novembre 1945, l’Unesco est une agence spécialisée des Nations unies dont l’objectif, tel que dicté dans l’acte constitutif, est de «?construire la paix dans l’esprit des hommes?» et de les rendre plus réceptifs aux idées de solidarité, de dialogue et de respect de la différence, et ce, à travers les secteurs de l’éducation, de la science et de la culture. Très tôt, le domaine du livre a suscité l’attention de l’Unesco?: dès 1952, la convention universelle sur le droit d’auteur pour les œuvres littéraires, scientifiques et artistiques a prévu, outre les projets de sensibilisation et de formation en droit d’auteur, la lutte contre la piraterie…

Édition et diffusion

Le livre apparaît comme un instrument stratégique privilégié dans l’implantation et la diffusion des valeurs fondatrices de l’Unesco. Visant un large public, il est appelé «?à faire évoluer des comportements?». Des conventions et plusieurs types de projets sont ainsi initiés ou soutenus par l’organisation, souvent en partenariat avec des groupes extérieurs. Parmi ceux-ci, la collection Unesco d’œuvres représentatives, un programme de coopération et d’échanges culturels créé en 1948 ayant pour objectif d’encourager la traduction, la publication et la diffusion de textes significatifs du point de vue littéraire et culturel, et peu connus au-delà des frontières nationales ou du cadre linguistique d’origine. Les ouvrages proposés à l’Unesco sont sélectionnés selon les critères de visibilité et de reconnaissance dont ils jouissent au sein de leur communauté et selon la conformité de leur contenu aux idéaux de l’Unesco. Les œuvres traduites et coéditées avec des éditeurs du monde entier ont contribué à la consécration de certains auteurs comme le Japonais Mishima qui a publié ses premières traductions grâce à l’Unesco et acquis ainsi une renommée internationale. La collection a permis, en outre, la traduction en arabe d’Aristote, de Bergson, Descartes, Durkheim, Leibnitz, Locke, Rousseau et Voltaire, ainsi que la diffusion, en français en en anglais, d’ouvrages de philosophes arabes classiques tels al-Farabi, al-Ghazali, Avicenne et Ibn Hazm… L’Unesco est d’ailleurs dotée de sa propre maison d’édition, d’envergure internationale, qui publie 100 nouveaux titres par an et des traductions dans plus de 80 langues. Elle compte de grands projets éditoriaux comme les Histoires générales et régionales, l’Histoire de l’humanité, Les différents aspects de la culture islamique et plusieurs collections, dont La bibliothèque philosophique, L’éthique, Études en sciences sociales. Élaborés par des spécialistes, les ouvrages publiés par l’organisation sont considérés comme des références en la matière. De son côté, la Commission nationale libanaise de l’Unesco édite des essais sur la diversité culturelle ou la coexistence islamo-chrétienne, des actes de colloques organisés sous son égide et a récemment publié la traduction en arabe de L’Esprit des lois de Montesquieu. Au total, 43 publications intéressantes qu’il est possible de commander sur le site Web de la commission (www.lncu.org).

Autre projet intéressant?: Kitab fi jarida, lancé en Amérique latine à l'initiative de l’Unesco puis adopté par le monde arabe en 1995. Il s’agit d’un supplément littéraire mensuel, comportant les textes choisis – une sorte d’anthologie – d’un auteur arabophone connu, tiré à quelque 3 millions d’exemplaires et distribué par une vingtaine de quotidiens arabes, dont An-Nahar, ce qui lui permet une large diffusion à un prix modique – celui du journal. Dirigé par le poète irakien Chawki Abdel-Amir, ce projet «?œcuménique?» pose les jalons d’un rapprochement culturel entre les pays arabes. Il bénéficie du soutien de plusieurs structures de financement, dont la Fondation Hariri.

Beyrouth, capitale mondiale du livre 2009

Six ans après le succès de la Journée mondiale du livre et du droit d’auteur, célébrée aux quatre coins du monde le 23 avril de chaque année, l’Unesco a accepté d’apporter son soutien à l’initiative lancée en 2001 par des organisations professionnelles internationales (comme l’IFLA, l’UIE et l’IBF) consistant à décerner le titre de «?Capitale mondiale du livre?» à une ville candidate qui présenterait le meilleur programme de promotion du livre. La ville élue est censée, tout au long d’une année, organiser des événements et des initiatives en vue de promouvoir le livre et de sensibiliser l’opinion au patrimoine culturel mondial. C’est le dossier de Beyrouth, présenté par le ministère de la Culture en partenariat avec la ville de Beyrouth, qui a été retenu pour 2009 «?pour son implication en matière de diversité culturelle, de dialogue et de tolérance, ainsi que pour la variété et le caractère dynamique de son programme?». La capitale libanaise devient ainsi la neuvième ville à porter le titre après Madrid, Alexandrie, New Delhi, Anvers, Montréal, Turin, Bogota et Amsterdam. L’occasion, pour elle, de renouer avec son passé glorieux et de lancer des manifestations autour du livre et de la lecture, mais aussi de mener à bien le projet de reconstruction de la Bibliothèque nationale amorcé en 1999.

Donations et prix


Dans un tout autre registre, la «?Donation du livre?» consiste en un programme de transfert de livres gratuits ou presque vers des pays moins favorisés. Loin d’en faire une «?politique du container?», les recommandations de Baltimore en septembre 1992 mettent en place une politique de «?don correct?», en formant et informant tous les acteurs liés à ce programme?: professionnels de l’édition, bibliothécaires, coopérants et membres des ONG, élus locaux, responsables ministériels. Il s'agit d'intervenir sur l’ensemble de la chaîne du livre (la conception, l’édition, l’impression, la distribution et la lecture) afin que la distribution soit le mieux adaptée à ses bénéficiaires sans pour autant concurrencer d’éventuels éditeurs locaux, libraires ou distributeurs. Le programme Bookaid, destiné presque exclusivement aux pays africains, s’inscrit dans ce cadre.

Aussi l’Unesco ne manque-t-elle pas de mettre les écrivains à l’honneur. Elle a ainsi proclamé l'année 1983 «?année Gibran?». De multiples célébrations se déroulent dans l’enceinte des bâtiments de l’organisation, et l’année 2006 a été dédiée au poète francophone Léopolde Senghor. Plusieurs prix ont également été créés pour récompenser une œuvre et, à travers celle-ci, transmettre un message de paix. On en citera le prix de littérature pour enfants et adolescents au service de la tolérance, ou le prix Sharjah pour la culture arabe. En 2003, a été créé «?Le mot d’or de la traduction?», en partenariat avec le Centre d’échange d’informations pour la traduction littéraire de l’Unesco et en collaboration avec d’autres partenaires, dans le but d’encourager le travail des traducteurs en vue de la reconnaissance des autres cultures. La lauréate de cette année, Rania Samara, a été choisie par le jury pour sa traduction en français du roman de Naguib Mahfouz,  Son Excellence, édité en 2006 chez Sindbad- Actes Sud.

La nécessité de partenariats

On le voit, les activités de l’Unesco pour la promotion du livre couvrent tous les secteurs. Mais c’est surtout au sein de la politique sur la diversité culturelle que le livre est appelé à jouer un rôle primordial. Les nouvelles dérives identitaires à l’ère de la mondialisation nécessitent une reviviscence des cultures dans le cadre d’un dialogue libre et riche. Les livres, en tant que produits de l’esprit, «?sont des  véhicules essentiels des idées, des traditions, et des valeurs de la culture régionale et nationale de laquelle ils sont issus, et constituent un point de rencontre indispensable entre les différentes cultures et civilisations ?». La politique du livre, comme initiative sectorielle de sensibilisation, de formation et d’information au sein de la vaste industrie culturelle, est plus que jamais à l’ordre du jour, et l’apport qui en résulte largement positif et performant. Mais elle se heurte à un budget trop modeste, incapable de répondre aux besoins immenses et aux situations parfois dramatiques sur le terrain. Chargé du programme «?Politiques du livre?» au secteur de la culture, Mauro Rosi rappelle que l’Unesco n’intervient pas en solo, mais compte beaucoup, pour mener à bien ses projets, sur la collaboration de partenaires fiables dans tous les domaines et sur ses propres commissions nationales dans les différents pays membres. Les autres acteurs du jeu, internationaux ou locaux, dont l’État concerné, portent une égale responsabilité dans la réussite ou l’échec d’un projet.

Quoi qu’il en soit, face aux grands défis du siècle, les organisations multilatérales demeurent le recours ultime des États afin de débattre des questions qui les concernent tous et pour réfléchir, ensemble, sur le devenir de la culture et du livre. Comme l’affirme Mauro Rosi?: «?Si l’Unesco n’existait pas, il faudrait l’inventer?!?»

 
 
© Alexandre Medawar
Le livre apparaît comme un instrument stratégique privilégié dans l'implantation et la diffusion des valeurs fondatrices de l'Unesco
 
2020-04 / NUMÉRO 166