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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Le Liban à travers les bureaux de poste français
On croyait tout savoir sur les timbres libanais. Semaan Bassil nous prouve le contraire en publiant deux beaux livres consacrés aux bureaux de poste français de Beyrouth et de Tripoli. Un travail édifiant qui ressuscite une ère de prospérité hélas révolue…

Par Alexandre NAJJAR
2013 - 12
Banquier de profession, Semaan Bassil s’est toujours intéressé à l’archéologie, notamment phénicienne, à l’histoire et à la philatélie. Pour assouvir cette dernière passion, il a commencé par réunir tous les timbres émis par la République libanaise. Ayant fait le tour de la question, il est tombé sur d’anciens timbres étrangers apposés sur des enveloppes envoyées du Liban (qui était encore sous domination ottomane) et tamponnés « Beyrouth » ou « Tripoli ». Comment expliquer cette situation ? Pourquoi les Libanais affranchissaient-ils leurs plis avec des timbres français ? Comment les Turcs acceptaient-ils que des timbres français (ou étrangers) fussent utilisés sur un territoire qu’ils contrôlaient eux-mêmes ? Quel était le secret des « Bureaux de poste français » établis dans une semi-clandestinité au Liban et en Syrie ? Quel était exactement leur rôle ?

Des bureaux de poste français à Beyrouth et Tripoli

Avec la minutie du chercheur et la ténacité d’un détective, Semaan Bassil a mené l’enquête. Le fruit de son travail est édifiant et nous renseigne sur tout un pan méconnu de notre histoire et des relations franco-libanaises. On y apprend ainsi que, bien avant l’émission des timbres libanais, les Libanais et les résidents au Liban (notamment ceux qui pratiquaient l’industrie et le commerce de la soie) apposaient sur leurs courriers des timbres étrangers (y compris des timbres turcs) qui étaient oblitérés par des bureaux de poste créés par la France (mais aussi par l’Autriche, la Russie, l’Égypte, la Grande-Bretagne et l’Allemagne) à Beyrouth ou à Tripoli (et dans plusieurs autres villes méditerranéennes comme Alexandrie, Lattaquieh ou Jaffa) dans le but d’organiser l’acheminement et la transmission du courrier consulaire et des lettres, colis ou mandats envoyés à (ou par) des individus ou des compagnies. Même les abonnements aux journaux et gazettes étrangers transitaient par ces bureaux qui dépendaient de la Direction de la Poste des Bouches-du-Rhône. Les autorités ottomanes, dont l’administration postale était lamentable, les voyaient d’un mauvais œil, et multipliaient même les exactions à leur égard, mais elles n’étaient pas en mesure de les fermer puisqu’ils jouissaient des privilèges extraterritoriaux accordés aux puissances occidentales dans l’Empire ottoman en vertu des Capitulations. Pour faire profil bas et ne pas les contrarier, la France ira jusqu’à ouvrir le bureau de poste de « Tripoli-Ville » dans l’enceinte même de l’École des Frères, devenue le Collège français de la Sainte Famille ! 

Une mine d’informations

Le premier album de Semaan Bassil s’intitule Soixante-dix ans d’histoire postale du bureau de poste français à Beyrouth (1845-1914). Préfacé par Christiane Moutel, directrice du Musée de La Poste de Paris, il a reçu le Literary Gold Award de la Société philatélique de Chicago. Le second, qui vient de paraître et que l’auteur a dédicacé au Salon du livre francophone de Beyrouth, a pour titre : French postal history in Tripoli (1852-1914). Ces deux albums, qui se complètent, ne sont pas seulement destinés aux spécialistes : ils s’adressent aussi au grand public puisqu’ils sont écrits dans une langue claire et accessible, et qu’ils proposent, outre les timbres d’époque, des cartes postales anciennes, des photos inédites et toutes sortes de documents puisés dans différentes collections privées et dans les archives, et soigneusement commentés par l’auteur. En outre, le texte lui-même est une invitation à la découverte du Liban entre 1845 et la Grande Guerre : on y trouve des informations précieuses sur le rôle politique de la France en Méditerranée, sur les échanges commerciaux et financiers avec Beyrouth et Tripoli dont l’évolution historique est expliquée en détail, statistiques à l’appui, et sur ce qui justifiait ou favorisait l’activité postale, à savoir la Compagnie des Messageries Maritimes, chargée du transport du courrier, l’industrie de la soie, très prospère en ces temps-là, et les négociants libanais (J. Tabet & Cie, Zalzal & Fils, Pharaon et Chiha, G. Trad & Fils, Les Fils de S. Bassoul, etc.) ou français (Veuve Guérin et Fils, Nicolas Portalis, Palluat et Testenoire, etc.)… Rien n’est laissé au hasard par l’auteur  : ni les tampons, ni les tarifs postaux, ni les taxes imposées par les Ottomans, ni la désinfection des plis, ni les lignes maritimes… Certaines lettres, dont il reproduit l’enveloppe et le contenu, nous aident à mieux comprendre le fonctionnement des bureaux de poste étudiés, mais aussi les projets des expéditeurs en question et les difficultés qu’ils rencontraient dans leurs affaires. Grâce aux bureaux de poste français de Tripoli, souligne Semaan Bassil, les émigrés partis du Liban-Nord vers l’Amérique, Cuba, l’Argentine, le Brésil, le Canada ou l’Australie envoyaient de l’argent et des mandats à leur famille restée sur place, si bien que ces bureaux, dont les facteurs sillonnaient la région, finirent par former, grâce à la France, un véritable pont entre les Libanais d’ici et ceux d’outre-mer !
 
Admirablement mis en page, les deux volumes signés Semaan Bassil constituent un travail colossal qui témoigne de la curiosité insatiable de son auteur, d’un réel talent pédagogique et d’une vaste connaissance des timbres et de l’histoire des relations franco-libanaises.






 
 
D.R.
 
BIBLIOGRAPHIE
Soixante-dix ans d’histoire postale du bureau de poste français à Beyrouth (1845-1914) de Semaan Bassil, AHL (Archeology and history in the Lebanon), Lebanese British Friends of the National Museum, 2009, 230 p.
French postal history in Tripoli (1852-1914) de Semaan Bassil, AHL (Archeology and history in the Lebanon), Lebanese British Friends of the National Museum, 2013, 180 p.
 
2020-04 / NUMÉRO 166