FEUILLETER UN AUTRE NUMÉRO
Mois
Année

2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
CHERCHER SUR LE SITE
 
ILS / ELLES
 
LIVRES
 
IMAGES
 
Au fil des jours...
 
General
La Library of Congress, temple du livre
À l’heure où la Bibliothèque nationale du Liban est en chantier, L’Orient Littéraire a visité, à Washington DC, la plus grande bibliothèque du monde, la fameuse Library of Congress, un magnifique temple consacré au livre !

Par Alexandre NAJJAR
2012 - 10
Le visiteur qui gravit les marches du Jefferson Building, l’un des quatre bâtiments constituant la Library of Congress, croit pénétrer dans un musée. À l’intérieur du Great Hall, après les fouilles d’usage, on demeure sans voix devant la beauté de l’endroit : le dallage en marbre, les fresques, les mosaïques, les statues, les vitraux, les colonnades, le plafond… Rien n’a été laissé au hasard. On mesure d’emblée les moyens déployés par les autorités fédérales pour doter les États-Unis d’une institution à la hauteur de ce que représente le livre pour l’humanité. Et l’on se demande où se cachent les 147 millions d’ouvrages, manuscrits et cartes que ce haut lieu abrite ! 

Au premier étage du Jefferson Building, une exposition archéologique voisine avec une présentation de manuscrits anciens. Les vitrines sont luxueuses ; la lumière tamisée n’agresse pas les objets tout en permettant l’examen des notices explicatives qui les accompagnent. On découvre avec fascination les documents fondateurs des États-Unis, puis une petite bibliothèque, celle de Thomas Jefferson qui signa, le 26 janvier 1802, la loi établissant le rôle et les fonctions de la Library of Congress (autrefois appelée Congressional Library) et qui, lorsque les troupes britanniques brûlèrent le Capitole et les 3 000 ouvrages qui s’y trouvaient, céda à la bibliothèque sa collection personnelle composée de 6 487 livres… Mais le clou du « spectacle » est sans doute la Main Reading Room avec son superbe dôme situé à 50 mètres du sol et ses citations littéraires gravées dans le marbre en cercle au-dessus d’une salle de lecture octogonale et lumineuse où les chercheurs studieux viennent compulser les ouvrages mis à leur disposition. Toute personne âgée de plus de 16 ans et porteuse d’une carte d’identification de lecteur (Reader Identification Card) peut y accéder, mais seuls les membres du Congrès et leurs équipes, de même que certains officiels du gouvernement et les membres de la Cour suprême et leurs assistants, peuvent y emprunter des livres. 


Des chiffres à couper le souffle !
 
Rien, au fond, ne prédestinait cette Library à devenir le temple mondial du livre. Fondée le 24 avril 1800 par le président John Adams, la bibliothèque ne disposait au départ que d’un budget de 5 000 $ destinés à acquérir des livres utiles pour le Congrès. Sa première collection ne comptait que 740 ouvrages et trois cartes, achetés à Londres en 1801 : une misère ! Aujourd’hui, les chiffres donnent le vertige : la Library dispose d’un budget de 600 millions de dollars et emploie 3 700 personnes qui travaillent dans les 350 000 m² de la bibliothèque et longent 532 miles de rayonnages ! Elle conserve, entre autres, 33 millions de livres, journaux et autres imprimés dans toutes les langues (soit deux fois les réserves de la Bibliothèque nationale de France), 61,4 millions de manuscrits, 12,5 millions de photographies, 5,3 millions de plans et de mappemondes et 5,5 millions de disques… Elle recèle de véritables trésors : la Bible de Gutenberg, 5 600 incunables, des manuscrits médiévaux comme les Institutes (XIIIe siècle), le Grand Coutumier de Normandie illustré (vers 1500), ou des éditions rares d’auteurs grecs (Hérodote...), latins (Lucrèce...), de la Renaissance (Copernic, Vasari) et français (les œuvres de Descartes, Bossuet, Montesquieu et la première édition complète de l’Encyclopédie de Diderot). Elle possède, en outre, des cartes anciennes, comme la première Géographie de Ptolémée publiée à Venise en 1475, et les voix enregistrées de plus de 2 000 poètes et romanciers lisant leurs propres textes ! Mais cette vénérable institution n’est pas pour autant à l’abri de la critique : la classification qu’elle adopte (LCC) ne fait pas l’unanimité, la politique d’acquisition manque parfois de cohérence, et certaines lacunes sont à déplorer, notamment pour ce qui concerne le monde arabe, sous-représenté par rapport au continent européen et aux Amériques. Contrairement à une croyance répandue, la Library ne conserve pas tout : sur les 22 000 documents et objets reçus chaque jour, seuls 10 000 sont gardés, le reste étant distribué à d’autres bibliothèques et aux écoles…


Polyvalente et moderne
 
La Bibliothèque du Congrès est polyvalente : elle abrite le United States Copyright Office pour le dépôt légal et l’enregistrement des brevets ou des copyrights (cet enregistrement pouvant aussi se faire en ligne) ; la National Library Service for the Blind and Physically Handicapped, qui produit des documents audio et en braille pour les malvoyants ; le Congressional Research Service destiné aux membres du Congrès ; et la Law Library of Congress qui fournit des informations légales. Bien que cette vénérable institution date du XIXe siècle, elle a su prendre en marche le train de la modernité : elle a établi le format MARC, un standard de communication (sans cesse amélioré depuis sa création) pour l’échange de données bibliographiques, et se trouve aujourd’hui à l’avant-garde de la technologie en matière de numérisation – une aubaine pour une bibliothèque en manque d’espace ! Son impressionnant catalogue est consultable en ligne et de nombreuses archives sont en libre accès pour les internautes, comme le « National Jukebox » qui propose gratuitement des enregistrements originaux d’anciennes chansons ou l’« American Memory » qui rassemble 5 millions de documents sur le patrimoine américain, issus de 90 collections ! Fin novembre 2005, la bibliothèque a lancé le projet World Digital Library visant à préserver sous forme numérique les livres et autres médias des diverses cultures mondiales. Plus de 600 documents exceptionnels relatifs au Moyen-Orient et à l’Afrique du Nord (dont des exemplaires introuvables du Coran ou des manuscrits rares relatifs aux sciences arabes) y figurent et peuvent être librement consultés. 

Animations en permanence
 
La Library of Congress n’est heureusement pas un « cimetière » de livres, c’est un lieu convivial et animé. Des concerts (dans le Coolidge Auditorium et le Whittall Pavilion) et des lectures publiques y sont régulièrement organisés : le 15 mai dernier, dans le James Madison Building, la lauréate du prix Nobel de littérature Herta Müller y a rencontré ses lecteurs. Et de nombreuses expositions s’y tiennent tout au long de l’année, autour de thèmes variés allant de la botanique à la musique. En mars dernier, le tricentenaire de la naissance de Rousseau y a été célébré. Jusqu’au 26 septembre, dans le cadre de la manifestation « Erevan capitale mondiale du livre 2012 » et à l’occasion du 500e anniversaire de l’impression du premier livre imprimé en arménien (intitulé Urbatagirk) par Hakob Meghapart, une très belle exposition intitulée « To know wisdom and instruction : the Armenian Literary Tradition at the Library of Congress » a proposé des ouvrages arméniens très rares, qui témoignent de la vitalité de la nation arménienne dont la diaspora, aussi bien à Venise qu’à Jérusalem, n’a jamais cessé d’écrire et de publier… Et les 22 et 23 septembre, un Festival national du livre s’y est tenu en présence d’écrivains de renom comme Michael Connelly, Mario Vargas Llosa, T.C. Boyle, Geraldine Brooks ou Patricia Cornwell.

Depuis une trentaine d’années, les ouvrages de l’ancienne Bibliothèque nationale du Liban sommeillent dans un dépôt. La renaissance de ce haut lieu culturel, dans les locaux de l’ancienne faculté de droit à Sanayeh, est en marche. Espérons que les responsables s’inspireront de la prestigieuse Library pour concevoir, même à petite échelle, une BNL à la hauteur de notre ambition !


 
 
D.R.
Des documents exceptionnels relatifs au Moyen-Orient, dont des exemplaires introuvables du Coran, figurent dans la World Digital Library et peuvent être librement consultés.
 
2020-04 / NUMÉRO 166