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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Dessine-moi un tyran !
Damas, jeudi 25 août à 4h30 du matin, le caricaturiste syrien Ali Farzat est enlevé et tabassé par les “chabbiha”.

Par Farès Sassine
2011 - 09
Si nul ne perçoit la tyrannie, dans son étendue et ses mécanismes, mieux que ses victimes, on peut dire la même chose de la caricature sociopolitique, dont la menace est la mieux ressentie par ses propres « cibles ». D’où cette haine que les régimes totalitaires et leurs maîtres lui portent, haine que justifient sa puissance dans la lutte contre les fondements mêmes de leur oppression, sa mise à nu de l’arbitraire et de la barbarie… À première vue, le combat est inégal : le pouvoir surarmé d’un côté et l’intelligence démunie de l’autre. En vérité, les deux ennemis sont imbus chacun de la force de l’autre ; le premier flaire ce qui lui porte atteinte, le second possède une force décisive. Ce qui, au bout du compte, fait le partage, c’est la qualité de l’intellection, la droiture de l’engagement, la propagation du mensonge ou son refus, le respect ou la dénégation des citoyens et des faits, la création ou la destruction.

La caricature, par son dessin même, se saisit d’un trait, l’exagère et retire aux roitelets narcissiques leur imaginaire. Mais dans la société de spectacle d’aujourd’hui, il vaut mieux être défiguré qu’absent. Par ailleurs, le rire, dans ses analyses les plus classiques, ne peut se soutenir que d’une situation sans grandes conséquences. Mais tel n’est nullement le cas dans les variantes toujours grotesques et meurtrières du « malheur arabe ».

Il a appartenu aux nouveaux caricaturistes arabes, trop nombreux pour qu’on les cite, de relever des défis multiples. De donner des leçons de courage et de persévérance. De permettre à la caricature une nouvelle diffusion par-delà la presse écrite et en relation avec la télévision et l’informatique. D’aiguiser l’esprit critique dans sa chasse à toute forme d’indécence politique ou sociale. D’embrasser la société entière dans une vision ramassée et de l’incarner dans des dessins et dialogues simples et d’une portée évidente pour le plus grand nombre. De rehausser cet art, en principe mineur, au rang des majeurs par des visions et des styles personnels et novateurs.

Naji al-Ali a été assassiné (1987). Ali Farzat vient d’être agressé : on lui a broyé les doigts. Un hommage sanguinaire du vice à la vertu, de la barbarie à la civilisation, de la racaille des services aux élites du peuple, de la brutalité entachée au propre de l’homme.

 
 
© Armand Homsi
 
2020-04 / NUMÉRO 166