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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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Les Libans des beaux livres
Les beaux livres libanais se succèdent, s’accumulent sur les étals des librairies, se ressemblent quelquefois, parient souvent sur une idée inventive, mais expriment toujours un attachement ébahi à reconstruire un Liban préservé, à en diffuser une certain idée rayonnante ou nostalgique.

Par Jabbour Douaihy
2011 - 02
La photographie y est, comme il se doit, souvent envahissante comme dans les clichés artistiques du 290 Rue du Liban, photographies de Joanna Andraos/Caroline Tabet (Engram, 2010) qui, selon Alexandre Medawar, traquent «?les présences éphémères, les absences marquées et les trajectoires fantomatiques des individus qui peuplent la ville, théâtre minéral des solitudes existentielles?».Tatouée à outrance en noir et blanc sur les corps nus d’Embodyments, Portraits of an alternate Lebanon, de Rasha Chammas, photographe beyrouthine qui a voulu «?trouver quelque chose qui n’a pas encore été entrepris dans le monde de l’art?». Parole donnée aux murs de la capitale dans Marking Beirut – A city revealed through its graffiti, de la jeune graphiste saoudienne Tala Saleh qui a essayé de saisir sur le vif, et avant que les services municipaux ne fassent le ménage, ce marquage du territoire urbain par les différentes communautés. Ou nocturnes comme le sont les virées d’Anthony Raphaël dans la ville qui ne dort jamais, B. Lebanon, Night Secrets Uncovered. D’autres titres laissent une plus grande place au texte comme ce retour Aux sources du Prophète de Gebran, Une recherché de traces, Charlotte et Hans Munc, ou la randonnée sur les chemins de montagne A million steps – Discovering the Lebanon Mountain Trail, Hana el-Hibri, randonneuse aguerrie, et photos de Norbert Schiller, avec une présentation de la diversité de la faune et de la flore, les ruines et l’hospitalité des 75 villages où l’équipe est passée. Et dans la même veine mais avec bien moins de couleurs, Les Forêts du Liban à travers les âges (en arabe) de Michel Khouzami, Librairie du Liban, 2010. Place aux plans archéologiques dans ce tracé de la vie religieuse au Liban sous l’empire romain dans Christian footprints in the Lebanon de Jean-Paul Rey-Coquais, Camille Asmar et Anne Rabate, 2009, Beyrouth.

Trois albums retiennent un peu plus l’attention par leur diversité et la qualité du travail.

Tania Hadjithomas Mehanna (éditrice et auteure) prête sa plume et Houda Kassatly (habituée des lieux de mémoire et qui n’en est pas à son premier essai) sa caméra pour un tour des us et coutumes ou toutes ces choses familières qui rassemblent dans «?ce pays en forme de virgule, bordé par la mer et les nuages?». Donc, Lebanon on & on (éd. Tamyras, Beyrouth, 2010) est la preuve par la photo et le texte combien les Libanais sont unis «?par le geste?»?: l’arak et son rituel («?un mezzé sans arak est comme un baiser sans moustaches?»), et pourquoi pas la broderie avec ces portraits de femmes religieusement penchées sur l’ouvrage, le jour des Rameaux ou la Sainte-Barbe, avec les enfants à l’honneur, en habits neufs ou en déguisements, face à l’Adha, le Fitr ou l’Achoura, et puis on aime les cloches, les couteaux de Jezzine et l’artisanat du cuivre, on s’arrête devant une entrée inattendue, Dieu, prié, calligraphié dans tous les styles, «?pris à témoin, parfois pris à partie…?», Feyrouz qui appartient aussi à notre fonds commun tout comme la Lune bonne à toutes les comparaisons, la maison citadine (déjà visitée par Houda Kassatly), l’incontournable man’ouché au thym, le mauvais œil, l’olivier, les proverbes et les «?sobhiyés?», les rencontres matinales entre femmes et «?où on refait le monde sans en avoir l’air?»… Et pour finir, dans l’ordre alphabétique, le zajal, ce «?bouquet d’arômes?», selon Khalil Gibran. Plus la montagne que la ville peut-être, mais, comme le dit Tania Hadjithomas Mehanna dans sont avant-propos, «?tout ce qui fait un pays est là?».

Médecin psychiatre, le professeur Antoine Boustany raconte sa bourgade natale, Deir el-Qamar, en grand format. Préface par Denis Pietton et Fouad Turk, l’ouvrage aborde la capitale des émirs Ma’an en déroulant l’histoire du Liban (ou plutôt du Mont-Liban) jusqu’à la guerre civile, après que «?le Couvent de la Lune?» eut cédé sa place à Beyrouth en 1920. La vie sociale et les traditions sont revues dans leur approche précoce de la modernité (le premier conseil municipal au Liban et en Orient, l’eau potable à domicile…), avec une place de choix pour l’album familial de l’auteur. La vie spirituelle et religieuse évolue sous la protection de Saydet el-Tallé tant invoquée, et bien sûr ces grands hommes «?qui ont pavé l’histoire du Liban?», les Adib, les Ammoun, la kyrielle des grands Boustany, les Nehmé et les Chamoun, pour terminer avec un choix de textes et de témoignages… Une monographie réalisée dans la ferveur et l’attachement à ces «?méandres du passé?» illustrés par un album complet de dessins, gravures et photographies, du sépia aux couleurs les plus chatoyantes.
Enfin et surtout, les cèdres du Liban, sujet intarissable, biblique, patriotique, incorruptible, écologique, esthétique, botanique, utile, romantique, sous la neige, arbres sans âge exposés aux rayons du couchant, matinaux, panoramiques, vues aériennes uniques, en gros plans, en magnifiques contre-jours, monochromes artistiques ou contrastes saisissants, touffus dans la réserve de Barouk, individualisés, voire sculptés, sur les hauteurs de Bécharré où on les appelle communément «?cèdres de Dieu?», tout est rappelé dans cette galerie de photos grandioses de Clément Tannouri, Lara Hanna Debs et Pascale Choueiri Saad, sous le titre, Cèdre du Liban, promesse d’éternité avec, comme pour Lebanon & on, des textes en français et en anglais émaillés de citations de l’Ancien Testament, et en premier?: «?Le juste pousse comme un palmier, il s’étend comme le cèdre du Liban?» (psaume 92: 13). Images flamboyantes ou intimes, historiques ou anthropologiques, d’un pays qui s’enfonce, de son côté, encore plus, dans le flou politique et identitaire, sans oublier une détérioration galopante de l’environnement forestier et culturel.


*Lebanon and on de Tania Hadjithomas Mehanna, photographies de Hoda Kassatly, Tamyras.

*Deir El Qamar d'Antoine Boustany, éd. L’Orient-Le Jour.

*Cèdre du Liban, promesse d’éternite de Clement Tannouri, Lara Hanna Debs, Pascale Choueiri Saad.

*Marking Beirut, A city revealed through its graffiti de Tala Saleh.

*Embodyments, Portraits of an alternate Lebanon de Rasha Chammas, préface de Ricardo Karam.

*290 Rue du Liban, photographies de Engram (Joanna Andraos et Caroline Tabet), textes de May Davie, Alexandre Medawar, Marie Nawfal, Ziad Nawfal, Engram, 2010, 82 p.
 
 
© Engram
« Un mezzé sans arak est comme un baiser sans moustaches » « Le juste pousse comme un palmier, il s’étend comme le cèdre du Liban »
 
2020-04 / NUMÉRO 166