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2020-04 / NUMÉRO 166   RÉAGISSEZ / ÉCRIVEZ-NOUS
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L'exposition Paris/Beyrouth
Afin de mettre en avant les relations franco-libanaises aux XIXe et XXe siècles, l’Institut du monde arabe prépare une grande exposition en 2011. Les échanges et influences mutuelles seront mis en valeur à travers des domaines aussi variés que la politique, la littérature, la musique, le théâtre et le cinéma, les arts plastiques, l’architecture, la mode et le design.

Par Farès SASSINE
2010 - 06

À la fin des années 1970, de nombreuses expositions ont confronté, au Centre Pompidou, Paris aux diverses capitales de la modernité occidentale : Paris/ New York 1908-1968 (1977), Paris/ Berlin, rapports et contrastes 1900- 1933 (1978), Paris/Moscou 1900-1930(1979). Dans la foulée, une exposition sur les créations en France de 1937 à 1957 reçut le nom de Paris/Paris. Ces expositions, centrées sur la production
plastique, visaient essentiellement à mettre en parallèle les confluences et les différences entre les mouvements d’avant-garde artistique à l’oeuvre dans les grands foyers de la culture et à s’interroger
sur les styles propres à chaque métropole. L’idée d’une exposition Paris/Beyrouth, sans s’inscrire exactement dans le même sillage, ne pouvait cependant que s’imposer vu les liens privilégiés des deux villes, l’ampleur des rapports des deux pays, leur variété, leur ancienneté. Elle attendait une conjoncture favorable, et voilà que le ministère des Affaires étrangères français, après avoir consulté le gouvernement libanais, estime le moment
opportun et l’entreprise d’intérêt notoire pour les deux pays et leur amitié. Après une courte péripétie, l’Institut du monde arabe prend en main le projet et, en étroite collaboration avec un comité scientifique qu’il a choisi, fort de son expérience d’expositions antérieures, la plupart à grand succès, programme
l’exposition pour 2011 à Paris, et pour une date et des locaux encore à préciser à Beyrouth. L’exposition couvrira près d’un siècle et demi de rapports franco-libanais centrés sur les deux capitales, c’est-à-dire
qu’elle ira du milieu du XIXe siècle au début du XXIe sans préciser, et ce pour de nombreuses raisons, les points de départ et d’arrivée. D’abord parce que Beyrouth ne fut la capitale d’un État nouvellement institué qu’en 1920. Ensuite parce que de nombreux retours en arrière seront faits, car il n’est pas question de passer sous silence ni les savants maronites à Paris (Gabriel Sionita (1577-1648), Abraham Ecchellensis
(1605-1664), …), ni les grands écrivains français qui ont témoigné sur le Liban de Volney à Flaubert en passant par Lamartine et Nerval (fin XVIIIe-début XIXe), ni l’activité pédagogique des missionnaires… Les années 1840-1860 voient de multiples développements économiques, politiques, militaires resserrer les liens de ce que l’on ne peut encore appeler deux pays, et intensifier les relations entre les populations sans réussir à faire prévaloir l’unanimité, au moins de ce côté de la Méditerranée. Elles sont néanmoins retenues en raison
du renouveau culturel de la Nahda qui enclenche une nouvelle ère patente dans tous les domaines. La France devient omniprésente à Beyrouth et investit les cercles culturels comme la vie quotidienne. Paris devient la capitale politique du Levant arabe avec l’afflux de réformateurs, de journalistes, de publicistes, d’écrivains (Ahmad Farès Chidyaq, Chékri Ganem…), d’artistes (Gibran, Hoyeck, Saleeby…). Beyrouth rayonne à côté (mais aussi à travers) Istanbul et l’axe Le Caire-Alexandrie aux premières loges d’une quête de soi, de
son avenir, de son passé. Les champs d’échanges sont tellement variés, importants, constants et en perpétuel renouvellement à travers les aléas politiques (proclamation du Grand Liban et mandat de la France, indépendance, guerres et occupations…), mais souvent dans des dynamiques propres, que leur seule énumération donne le vertige. Ce n’est donc pas l’abondance de la matière qui pose problème mais les critères du choix, de la visibilité scénographique des objets, de leur regroupement dans des perspectives transversales et vivifiantes. Il faut, de plus, intégrer l’exposition dans un processus en plein essor sans tomber dans l’énumération plate et sans aspérités de tout ce qui se réalise et en recourant à des procédés audiovisuels et informatiques capables de diversifier les points de contact et de les rendre attrayants. En appuyant sur les allers et retours entre les deux villes, sur la propension de l’une à rejoindre l’autre, à s’y
réfugier, à s’y faire reconnaître, on ne peut qu’insister sur la circulation des hommes, des arts et des idées. Dès le milieu du dix-neuvième siècle (Goupil- Fesquet, Maxime du Camp, Le Gray…) et jusqu’en pleine guerre (Depardon), les photographes français sont à Beyrouth, mais la traversée n’est plus à sens unique (Fouad el-Khoury…). Dans le domaine de l’urbanisme et de l’architecture, les tracés orthogonaux du centreville
et la place de l’Étoile portent toujours l’empreinte de la France, et bien des immeubles sont de conception métropolitaine (Le Musée national, Lazarieh…), mais on ne peut omettre ni la collaboration de planificateurs des deux bords ni la formation d’architectes libanais dans des institutions françaises. Aux confins du politique et du culturel, la presse libanaise paraît en arabe à Paris aux jours de censure en français au Liban. Bien des périodiques font date dont certains, comme L’Orient et Le Jour, désormais réunis sous une même houlette, n’ont cessé de couvrir l’actualité et de former l’opinion. La Revue phénicienne de Charles Corm, L’Orient Littéraire dans ses trois périodes (Schéhadé, Stétié, Najjar), Les Cahiers de l’Est de Camille Aboussouan, L’Orient Express de Samir Kassir… ont un grand rayonnement. Des institutions culturelles ont joué et jouent un rôle pionnier dans le rapprochement des deux peuples et dans la mise sur pied de recherches originales,
de formes nouvelles, de découvertes et d’explorations. Citons parmi d’autres : l’Université Saint-Joseph, Le service des Antiquités puis l’Ifapo (Dunant, Seyrig), l’École supérieure des lettres (Bounoure), le Cénacle libanais (Michel Asmar), Dar al-Fann (Janine Rubeiz), le Cermoc puis l’IFPO… Comme le note Élisabeth Picard, une nouvelle sociologie française du monde arabe s’est formée au Liban (Berque, Rodinson). La guerre du Liban et l’exil d’universitaires qui la suit permet une réflexion croisée franco-libanaise sur les continuités et
discontinuités au Levant notamment au séminaire de Dominique Chevallier à la Sorbonne (Antoine Abdelnour, Sélim Nasr…). Le développement que nous consacrons ici aux arts et aux lettres est inversement
proportionnel à leur importance, capitale. Courants littéraires arabes se mettant à l’heure de Paris (romantisme, symbolisme, existentialisme, al-Adâb, Shi’r…), poètes et écrivains libanais de langue française publiant à Paris et à Beyrouth, auteurs français se rendant au Liban et lui consacrant des oeuvres ou peintres venant y résider (Georges Cyr), foyers culturels regroupant à Paris écrivains, peintres et sculpteurs libanais
résidents ou se partageant entre les deux capitales, pièces de théâtre de Schéhadé jouées à Paris, pièces de l’avant-garde française traduites et mises en scène dans la capitale libanaise, artistes exposant dans les deux métropoles, oeuvres traduites paraissant dans les deux bords… Ne voilà là que quelques aspects d’un couple peu commun. Nous n’avons pas parlé de la musique, domaine très important (el-Bacha, W. Akl, Gabriel Yared, B. el-Khoury…), ni de la gastronomie, ni de l’oenologie. Mentionnons pour terminer deux domaines où l’interpénétration s’amplifie de jour en jour : le cinéma et la haute couture.Tout est défi dans cette exposition : le temps court imparti pour la préparer ; la détermination à ne privilégier aucune frange de la population libanaise dans les liens bilatéraux ; la volonté de ne léser ni l’une ni l’autre des villes dans la confrontation ; la résolution de ne laisser aucun domaine d’échange culturel en dehors du champ d’exposition tout en lui assurant l’assise muséographique propre à le mettre en relief et à le rendre lisible, visible et « sensuel » ; l’intention de mettre en relief la francophonie sans oublier l’enracinement fondamental du Liban dans l’arabité ; le désir de ne pas se couper d’une actualité foisonnante tout en établissant des critères de choix rigoureux ; le projet non seulement de consacrer une relation multiséculaire, mais aussi de l’approfondir, de la renouveler et de la lancer sur de nouvelles pistes… Ces questions sont d’ordre théorique et pratique. Elles s’incarnent dans un travail collectif vaste et ardu. L’accueil fait à l’exposition sera bien juge de sa réussite.

 

 

 

Commissariat général de l’exposition : Badr-Eddine Arodaky.
Commissaires : Aurélie Clemente-Ruiz, Hoda Makram-Ebeid.
Comité scientifique : Ahmad Beydoun, Walid Chmait, Georges Corm, Michel Fani, Frédéric Husseini, Gérard D. Khoury, Vénus Khoury-Ghata, Henry Laurens, Frank Mermier, Abdallah Naaman, Issa Makhlouf, Joseph Maïla, Élisabeth Picard, Élie Saab, Nawaf Salam, Farès Sassine, Salah Stétié.

 
 
 
2020-04 / NUMÉRO 166